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Edito : Cancer : les nouveaux défis à relever !
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Le Président de la République, François Hollande, a présenté le 4 février dernier le 3e plan Cancer (2014-2019) qui vise à poursuivre et amplifier la dynamique de lutte globale contre cette maladie, enclenchée par Jacques Chirac (2003-2007) et poursuivie par Nicolas Sarkozy. Ce troisième plan est doté de 1,5 milliard d’euros, un montant équivalent au précédent plan qui portait sur la période 2009-2013.
Ce plan Cancer part d’une réalité incontestable : en dépit des progrès médicaux impressionnants effectués au cours de ces dernières décennies, le cancer, avec 148 000 décès par an en 2012, est devenu la première cause de mortalité dans notre Pays, juste devant les maladies cardio-vasculaires (147 000 morts) (Voir rapport de l'INVS et dossier de la FFC).
Il faut toutefois rappeler avec force que, si le nombre de nouveaux cas de cancer a plus que doublé depuis 1980 en France, le taux standardisé de mortalité, qui tient compte de l’augmentation et du vieillissement de notre population, n’a cessé de diminuer, régressant en moyenne depuis 20 ans de 1,5 % par an chez les hommes et de 1 % chez les femmes.
Quant au taux de mortalité globale par cancer entre 1980 et 2010, il a diminué de 22 % chez les hommes, passant de 208,7 à 162,6 décès pour 100 000 hommes et de 14 % chez les femmes, passant de 92,8 à 79,9 décès pour 100 000 femmes. Il y a seulement 25 ans, à peine un patient sur trois était encore en vie cinq ans après le diagnostic de son cancer alors qu’aujourd’hui c’est le cas d’un peu plus d’un patient sur deux ! Un autre exemple récent illustre de manière saisissante cette baisse de la mortalité réelle par cancer en France : selon les chiffres de l’Observatoire régional de santé de Midi-Pyrénées, révélés le 8 février dernier, le risque global de mortalité par cancer dans cette région, a baissé, en seulement 10 ans, de 14,5 % chez les hommes et de 5 % chez les femmes !
Ce nouveau plan cancer comporte pas moins de 17 objectifs, parmi lesquels un meilleur accès au diagnostic précoce et une extension du dépistage généralisé pour certains cancers, comme le cancer du col de l’utérus. La mise sur le marché des médicaments innovants sera par ailleurs accélérée grâce à une procédure plus souple.
En matière de recherche, ce troisième plan cancer est très ambitieux puisqu’il vise à doubler d’ici 2020 le nombre d’essais cliniques qui concernent aujourd’hui 25 000 patients. En matière de prévention, le Président de la République a souhaité que soit rapidement mis en œuvre un nouveau programme national de lutte contre le tabagisme visant à ramener la proportion de fumeurs dans la population adulte de 33 à 20 %.
En matière de dépistage, ce nouveau plan vise également des progrès majeurs et souhaite notamment permettre aux patients les plus modestes d’avoir accès gratuitement et sans avance de frais au dépistage du cancer colorectal et du cancer du sein. Autre objectif précis : le délai moyen d’accès à un examen par I.R.M. sera ramené de 27 à 20 jours d’ici 2019 et le nombre d’actes en chirurgie ambulatoire, dans le domaine de la cancérologie, sera doublé d’ici 2025.
Mais au-delà de ce troisième plan cancer qui va permettre d’entretenir et d’amplifier la dynamique de sa mise en place il y a 10 ans, comment ne pas évoquer l’extraordinaire effervescence scientifique à laquelle nous assistons actuellement sur le front de la lutte contre cette maladie.
Même si le triptyque thérapeutique, chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie reste la norme, avec 370 000 malades opérés en 2013 et plus la moitié des patients traités par radiothérapie, au moins trois révolutions scientifiques sont en train de bouleverser la cancérologie : les médicaments ciblés, les nanovecteurs et nanotechnologies et enfin la génomique personnalisée des cancers.
S’agissant des médicaments à « ciblage moléculaire », la révolution a commencé en 2000 avec la mise sur le marché aux États-Unis du mésylate d’imatinib, une molécule plus connue sous le nom commercial de Glivec. Autre exemple, le trastuzamab (herceptine) qui cible la surexpression du gène du récepteur HER2 par certains cancers du sein. Depuis, près d’une vingtaine de ces médicaments ciblés ont été développés et plus d’une cinquantaine sont en cours d’évaluation clinique et attendent leurs mises sur le marché.
Contrairement à la chimiothérapie classique, parfois très efficace mais peu sélective et souvent à l’origine d’effets secondaires importants, cette nouvelle génération de médicaments agit de manière beaucoup plus fine en bloquant sélectivement la cancérisation des cellules grâce une action ciblée sur certaines voies spécifiques de signalisation cellulaire.
S’agissant des « nanomédicaments », la France est également en pointe dans ce domaine très prometteur. Un médicament révolutionnaire, mis au point à partir des remarquables travaux de Patrick Couvreur (médaille d’or du CNRS et lauréat du prix de l’inventeur européen 2013) fait actuellement l’objet d’essais cliniques de phase 3 et pourrait être disponible vers 2017. Baptisé Livatag, ce médicament est constitué de doxorubicine encapsulé dans un polymère et il a déjà montré des résultats très encourageants dans le traitement du cancer du foie.
On sait à présent, grâce à l’immense masse de données accumulées au cours de ces 30 dernières années dans le domaine de la recherche fondamentale, qu’il existe une multitude de voies de signalisation et de mécanismes de transmission des signaux biochimiques et d’altération génétique qui peuvent mener à l’apparition d’un cancer. Pour chaque organe, il existe donc plusieurs types de cancers très différents qui correspondent à des signatures moléculaires spécifiques et à des caractéristiques génétiques bien particulières.
Ainsi défini à l’aide de cette nouvelle grille de classement, chaque cancer peut être compris et combattu bien plus efficacement et faire l’objet d’un traitement thérapeutique sur-mesure qui va considérablement augmenter les chances de guérison pour le malade mais également améliorer -ce point est très important- le confort de vie du malade.
De nombreux essais cliniques sont actuellement en cours partout dans le monde pour exploiter ces nouvelles connaissances fondamentales et dresser un gigantesque « mode d’emploi » des relations et liens biochimiques et génétiques entre les différents types de tumeur, la multitude de mutations génétiques impliquées dans la cancérisation et les mécanismes d’action moléculaires spécifiques de ces nouveaux médicaments ciblés toujours plus nombreux.
Par exemple, le crizotinib, un inhibiteur de protéines kinases dont le nom commercial est Xalkori, a d’abord été utilisé dans certains cancers du poumon mais il est probablement efficace contre d’autres types de cancer qui ont en commun de présenter la même anomalie du gène ALK. C’est pour vérifier cette hypothèse qu’a été lancé « AcSé », un programme d'essais cliniques sur les thérapies ciblées innovantes qui va permettre à 500 patients atteints de différents types de cancer mais tous porteurs de cette même anomalie génétique, d’être traités à l’aide de cet inhibiteur de la tyrosine kinase.
Actuellement, on considère qu’environ 10 % de nos 22 000 gènes pourraient être impliqués, à un moment ou un autre, dans l’une des nombreuses étapes qui mènent à l’apparition d’un cancer. Mais pour parvenir à comprendre et à répertorier toutes les interactions possibles dans le microcosme cellulaire, il va falloir effectuer un travail colossal qui a été confié à l'International Cancer Genome Consortium.
Cette organisation internationale qui regroupe 15 pays estime que pour établir le catalogue complet des mutations dans un seul génome tumoral, il est nécessaire d’analyser environ 100 milliards de paires de bases de séquence d'ADN. Mais le travail ne s’arrête pas là car, pour pouvoir identifier les mutations les plus fréquentes sur chaque tumeur, il faut également analyser au moins 2000 échantillons pour chaque type de cancer, soit environ 100.000 échantillons pour l'ensemble des 50 principaux types de tumeur.
Mais heureusement, cette entreprise titanesque progresse à la vitesse des nouveaux moyens et outils industriels, informatiques et mathématiques dont dispose la recherche : c’est ainsi qu’il y a quelque semaines, une équipe de chercheurs du Broad Institute, du MIT et de l’Université d’Harvard, après l’analyse des génomes de près de 5.000 échantillons de tumeur, a annoncé la découverte de 33 nouveaux gènes clés qui semblent fortement impliqués dans 21 types de tumeur. Ces 33 gènes viennent s’ajouter aux 135 déjà répertoriés depuis une trentaine d’années et également impliqués dans différentes formes de cancer (Voir Nature).
Ces informations précieuses fournissent déjà une quantité considérable de données biologiques pour alimenter les bibliothèques de tumeurs (« tumorothèques ») qui ne cessent de s’étoffer au niveau international. Parallèlement à cette avancée majeure que représente la détection précoce des gènes de prédisposition au cancer, l'autre progrès décisif qui est en train de bouleverser la cancérologie concerne l'analyse génomique des tumeurs, dont certains gènes permettent d'accroître l'efficacité des traitements grâce à des thérapies ciblées.
Notre Pays dispose déjà, grâce aux plans « Cancer », de 28 plates-formes de génétique des tumeurs, capables d’identifier certaines anomalies génétiques ciblées par quelques médicaments. Mais l’avenir appartient au séquençage complet du génome tumoral à l’aide d’outils “à haut débit”. Pour parvenir à relever ce défi médical, le nouveau plan « Cancer » a prévu l’ouverture, dès 2014, de plates-formes de séquençage à haut débit. L’objectif est de pouvoir proposer le séquençage tumoral complet à 3 000 patients en 2015, 10 000 en 2017 et 50 000 en 2019.
Parallèlement, depuis 3 ans, la France a mis en œuvre le premier essai clinique d'envergure de traitement personnalisé du cancer du sein. Dirigé par le professeur Fabrice André (Institut Gustave-Roussy, Val-de-Marne), cet essai unique au monde vise, grâce à des techniques d'analyse du génome à haut débit, à séquencer les tumeurs de plus de 400 patientes atteintes de cancer du sein métastasé, afin de pouvoir leur proposer les thérapies ciblées les plus efficaces, celles qui correspondent exactement au profil génétique de leur tumeur. Les premiers résultats de cet essai sont très encourageants car 30 % des patientes ont présenté des réponses positives antitumorales, bien que leur cancer soit métastasé…
Grâce à cet effort scientifique, médical, industriel et institutionnel sans précédent, notre Pays est aujourd’hui au tout premier rang mondial dans le domaine-clé de la collecte et de l'analyse informatique des données oncologiques : en 2013, ce sont presque 70 000 patients qui ont ainsi pu bénéficier de ces analyses génétiques personnalisées et, comme le souligne fièrement Agnès Buzyn, Présidente de l’Institut national du cancer (INCa), « La France est le seul pays au monde à proposer ces tests à tous ceux qui en ont besoin ».
Demain, l’efficacité thérapeutique des thérapies ciblées, qui se compteront par centaines, sera inséparable des progrès de la génétique, de la génomique et de l’épigénétique qui permettront, en s’appuyant sur de gigantesques banques de données, sur des séquenceurs génétiques ultra-rapides et sur une puissance de calcul phénoménale, de proposer à chaque malade un traitement complètement personnalisé et d’ajuster en permanence ce traitement en fonction de l’évolution de son cancer.
Ces traitements « sur mesure » seront d’autant plus efficaces qu’ils s’appuieront sur une panoplie thérapeutique extrêmement diversifiée : chirurgie robotisée, chimiothérapie sur mesure, radiothérapie de très haute précision, hadronthérapie, immunothérapie, nanomédicaments…
À cet ensemble de moyens scientifiques et médicaux s’ajouteront de nouveaux outils issus des progrès réalisés en physique. À cet égard, il faut évoquer les ultrasons focalisés de haute intensité ou encore la photothérapie dynamique, deux technologies très prometteuses qui ne cessent d’élargir leur champ d’application dans le traitement du cancer. Mais les avancées technologiques dans le domaine de la physique permettent également de donner un nouveau souffle aux deux plus anciennes méthodes de lutte contre le cancer, la chirurgie et la radiothérapie.
La généralisation prochaine de la chirurgie robotisée, intégrant de nouveaux outils comme le laser, va ouvrir à cette très ancienne technique médicale de nouveaux champs d’efficacité contre le cancer. Il en va de même pour la radiothérapie, avec l’arrivée de machines de nouvelle génération comme le ‘Cyberknife » qui permettent des « frappes » de très haute précision sur certaines tumeurs difficiles qui étaient encore impossibles il y a quelques années. En outre, grâce à une innovation remarquable mise au point en France et développée par la société Nanobiotix, il sera bientôt possible d’amplifier considérablement les effets de ces radiothérapies, tout en préservant les cellules saines, en injectant dans la tumeur un type particulier de nanoparticules amplifiant les effets du rayonnement.
Après avoir effectué ce rapide tour d’horizon des extraordinaires progrès en cours dans la lutte contre le cancer, on voit mieux à quel point ce 3ème plan « Cancer » arrive à pic pour permettre à notre Pays de poursuivre son effort exceptionnel dans ce domaine et de maintenir son niveau d’excellence mondiale, tant dans le domaine de la recherche fondamentale que dans ceux de la recherche clinique et de l’accompagnement global du malade.
On peut toutefois déplorer que ce plan, globalement ambitieux, reste encore bien timide sur un point, pourtant de plus en plus reconnu comme important dans la compréhension et la lutte contre cette maladie si multiforme : le rôle de l’environnement. Cette carence est étonnante quand on sait que le rôle de la pollution atmosphérique en matière de cancer a été formellement reconnu en octobre 2012, par le Centre international de recherche sur le cancer, même si, en raison de l’intrication des facteurs de risque, il est très difficile d’évaluer scientifiquement le nombre de décès par cancer directement provoqués par ce type de pollution et plus globalement par ce qu’on appelle « l’environnement » et qui regroupe des facteurs très différents.
Thierry Philip, Directeur du département Cancer et environnement du Centre Léon Bérard de Lyon et spécialiste reconnu de ces questions, considère, pour sa part, que l’ensemble des facteurs liés à l’environnement et notamment la pollution de l’air, de l’eau, l’alimentation et les risques professionnels sont probablement responsables d’environ 10 % des cancers. Si cette estimation s’avérait confirmée par des études épidémiologiques solides, cela voudrait dire que ces facteurs environnementaux entraîneraient environ 38 000 nouveaux cas de cancers et entre 10 000 et 20 000 décès par an en France.
Il reste que, si ces facteurs environnementaux, longtemps sous-estimés, méritent de faire l’objet d’études scientifiques plus importantes et d’être pris sérieusement en considération par l’Etat et les autorités de santé dans l’élaboration des politiques de prévention et de lutte contre le cancer, ce sont bien les choix individuels en matière de mode vie qui jouent le rôle le plus important dans la prévention des cancers.
Selon l’OMS, un tiers au moins des cancers serait évitable et selon l'Union Internationale Contre le Cancer (UICC), c’est 40 % de l'ensemble des cancers qui pourraient être évités en modifiant les modes de vie. Mais certains scientifiques vont encore plus loin, comme par exemple G. A. Colditz, épidémiologiste de réputation internationale et directeur des études de santé publique de l’Ecole de Médecine de l’Université Washington (Saint-Louis-Missouri). Cet éminent scientifique a publié en mars 2012 une étude dans « Science » selon laquelle plus de la moitié des cancers pourraient être évités (Voir Etude et article complet).
Je le réaffirme à nouveau avec force : tant que nous n’aurons pas la volonté de consacrer à la prévention, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, le même effort collectif qu’en matière de recherche scientifique et médicale, nous ne nous donnerons pas les moyens de gagner définitivement la guerre contre le cancer et de nous libérer enfin de ce fléau.
Au cours d’un récent colloque sur l’avenir de la recherche en cancérologie qui a eu lieu à Lyon fin 2013, tous les participants sont tombés d’accord pour considérer qu’il serait souhaitable de sensibiliser dès l’enfance l’ensemble de la population aux conséquences pour notre santé de différents choix de vie.
Qu’on m’entende bien : nous vivons dans une société heureusement démocratique et il ne s’agit pas d’instaurer je ne sais quel moralisme ou de contraindre qui que ce soit à vivre de telle ou telle façon. Mais informer les individus de manière complète, dès le plus jeune âge, des effets majeurs que peuvent avoir leurs choix de vie sur leur santé pourrait très probablement permettre de réduire considérablement les comportements à risque et leurs conséquences humaines dramatiques, sans parler du coût collectif considérable que ces choix de vie entraînent pour la collectivité…
Cet effort d’information et de prévention actif et généralisé à tous les âges de la vie, combiné à l’ensemble des progrès en cours que je viens d’évoquer, pourrait nous permettre, j’en suis convaincu, d’avancer encore plus rapidement vers la victoire contre le cancer et de guérir ou de contrôler au moins trois cancers sur 4 d’ici 20 ans.
Souhaitons que cette question cruciale de l’éducation et de la responsabilité personnelle en matière de santé soit enfin reconnue dans toutes ses dimensions sociales culturelles et politiques afin que notre société parvienne à modifier radicalement sa conception du bien-être et de la santé et que, dans ce domaine si essentiel, chacun devienne acteur éclairé et responsable de sa vie…
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Médecine
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