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Edito : Le biochar sera-t-il le nouvel or noir ?

Connu depuis plus de 2500 ans, et largement utilisé pour fertiliser les sols par certaines civilisations précolombiennes, le biochar est une forme de charbon végétal issu de la pyrolyse de matières organiques. Au XVIème siècle les Espagnols avaient pu constater, en explorant l'Amazonie, que cet amendement produit par les Indiens, était à l'origine de la Terra Preta, une terre sombre à la fertilité exceptionnelle. Cette poudre noire est désormais obtenue grâce à la pyrolyse de la biomasse dans des fours spécialement conçus. Cette opération consiste à chauffer la matière organique à une température comprise entre 350°C et 650°C sans oxygène. Si le biochar bénéficie d’un tel engouement, c'est que cette matière organique possède des propriétés extraordinaires qui lui permettent d'agir simultanément dans trois domaines : l'enrichissement et la dépollution des sols, la capture à long terme du CO2 atmosphérique et la production d'énergie décarbonée, comme l'hydrogène. En 2018, le GIEC l’a reconnu comme technologie d’émission négative pour son rôle de puits carbone. Une tonne de biochar peut en effet stocker, de manière stable et durable, entre 2 et 3 tonnes de CO2, selon la nature des sols.

En 2023, une étude réalisée par l'université du Texas s'est focalisée sur les effets d’un biochar obtenu à partir de résidus de culture de blé sur une culture de tomates. Différents paramètres ont été observés, comme la croissance des plants de tomates et le développement de leur système racinaire, ainsi que la diversité microbienne du sol. Les résultats de cette étude ont été saisissants, puisque les chercheurs ont découvert que le microbiome du sol traité bénéficiait à la fois d’un accroissement de l’activité de plusieurs microbes bénéfiques à la plante, ainsi qu’une réduction de l’activité de certains champignons pathogènes. En outre, le biochar améliore sensiblement l’activité symbiotique entre la plante et le microbiome (Voir Agrilife today).

D’autres travaux ont confirmé la capacité du biochar à améliorer la fertilité d’un sol grâce à ses différentes propriétés chimiques qui permettent aux plantes de mieux absorber les nutriments, même dans un sol pauvre, comme celui de la forêt amazonienne. Les possibles applications du biochar ne se limitent pas à l’agriculture, puisqu’il pourrait également participer à la décarbonation du béton, une production responsable de 8 % des émissions de CO2 au niveau mondial, soit environ 3,5 gigatonnes. Ces émissions sont principalement causées par le processus de fabrication du ciment, composé de clinker, un matériau obtenu par la cuisson à très haute température (environ 1400°C) d’un mélange de calcaire et d’argile. La réaction chimique qui en résulte entraîne des émissions très importantes de CO2. En France, selon un rapport de CIM Béton de 2018, l’empreinte carbone du ciment se situe aux alentours 624 kg eq CO2/t. Récemment, le cimentier Vicat a réussi à créer un nouveau liant, appelé Carat, qui est enrichi en biochar et présente de ce fait une empreinte carbone négative de -15 kg eq CO2/t.

Le projet Fenix (Innovations pour l’amélioration des sols à partir de biodéchets) est soutenu par le programme Horizon Europe de la Commission européenne. Il va permettre de transformer des biodéchets en amendement pour améliorer la fertilité des sols agricoles tout en stockant du carbone. « Ce projet est vraiment motivant, car il associe trois objectifs majeurs pour l’humanité : l’amélioration de la production agricole en rétablissant la fertilité de sols dégradés, la lutte contre le changement climatique et l’utilisation vertueuse de déchets organiques, qui deviennent néfastes pour l’environnement s’ils ne sont pas valorisés », souligne François Pinta, chercheur au Cirad et responsable du projet.

Le potentiel du biochar pour stocker du carbone est également exploré d’une manière innovante dans le projet RizRoute (Fondation Ferec) qui visait à tester la valorisation de coproduits rizicoles dans les liants bitumineux pour la séquestration carbone. Ce projet mené avec le Cerema et le Cirad a eu des résultats très concluants. Il a notamment montré qu'il suffit d'incorporer seulement 5 % de biochar produit à partir de balle et de paille de riz, pour réduire de 50 % l’empreinte carbone de la filière. Alfredo Napoli, qui a participé au projet, souligne que « si on arrive à incorporer 10 % de biochar ou plus, la filière deviendrait neutre, voire à impact carbone négatif ».

Reste que le biochar est encore peu utilisé car il reste cher à produire. En Europe, la tonne de ce matériau se négocie généralement entre 600 euros et 800 euros mais les prix peuvent atteindre 4000 euros la tonne selon les filières et les types de biochar. Or, la quantité requise pour un usage agricole est de l’ordre de plusieurs tonnes par hectare, ce qui représente un coût financier trop élevé pour un grand nombre de cultures. Mais cette situation est en train de changer car de nombreux industriels, mais aussi des collectivités, se mettent à produire du biochar. La ville américaine de Minneapolis est ainsi en train de construire la première unité publique de production de biochar au monde. Cette usine devrait être opérationnelle dès cet automne 2024. Elle traitera jusqu'à 3 600 tonnes de déchets de bois par an, pour produire 500 tonnes de biochar en utilisant une technologie de pyrolyse qui chauffe le bois à 371°C en l'absence d'oxygène.

De son côté, la startup française NetZero a ouvert deux usines de production de biochar, dont la première se situe en Afrique et la deuxième en Amérique du Sud. Le biochar obtenu, particulièrement efficace pour des sols tropicaux, est revendu aux agriculteurs locaux. La start-up met en œuvre un procédé connu depuis longtemps. Les végétaux relâchent le CO2 dans l'atmosphère lorsqu'ils se décomposent ou lorsqu'ils sont brûlés. Mais, chauffé dans un four à 500 degrés à l'abri de l'oxygène (par le procédé de pyrolyse), le carbone extrait se retrouve piégé pour plusieurs siècles au sein du charbon ainsi obtenu. Autre avantage du biochar, Il ne coûte pas cher en énergie puisque le procédé s'autoalimente grâce à la chaleur émise par les combustions partielles. Enfin, il possède des qualités agronomiques reconnues pour certains types de sols, notamment en régions tropicales. NetZero va ouvrir deux nouvelles usines de production de biochar au Brésil d'ici à la fin de l'année et compte ouvrir 700 petites unités de production d'ici à 2030, essentiellement dans les zones tropicales où le biochar peut s'utiliser dans le cadre d'une économie circulaire intégrant la fertilisation des sols, la capture de CO2 et la valorisation énergétique.

Mais le biochar n'est pas pour autant un produit-miracle. Sa production et son utilisation doivent rester locales pour être rentables et écologiquement intéressantes. Par ailleurs, le biochar ne convient pas à tous les types de sols. C'est une matière alcaline, au pH supérieur à 7. Il peut donc avoir des effets négatifs s'il est épandu dans des sols calcaires, dans lesquels les plantes ont déjà du mal à y prélever certains nutriments. Si le monde veut respecter l’accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, il faut parvenir à extraire de l’atmosphère 7 à 9 milliards de tonnes de CO2 par an d’ici à 2050, estime un rapport pluridisciplinaire publié en juin dernier et coordonné par l’université d’Oxford (Voir The State of Carbon Dioxide Removal). Alors que les activités humaines ont émis au total (en intégrant l'utilisation des sols et forêts) près de 41 milliards de tonnes de CO2 en 2023, cette étude souligne que la priorité est bien de réduire rapidement et drastiquement les émissions mondiales, mais rappelle qu'il faudra aussi avoir recours à l’élimination directe du carbone déjà accumulé dans l’atmosphère. C'est dans ce contexte que le GIEC estime le potentiel de séquestration du biochar à 2,6 milliards de tonnes de CO2 par an. « C'est loin d'être négligeable puisque cette quantité représente plus du quart des 10 milliards de tonnes qu'il faudrait enlever de l'atmosphère en moyenne chaque année d'ici à 2100 », estime le climatologue Jean Jouzel. Alors que les technologies de captation du carbone restent complexes et onéreuses, le biochar, par ses remarquables propriétés, semble donc en mesure de jouer un rôle important en matière de séquestration économique à grande échelle de carbone et de lutte contre le changement climatique.

En France, son prix prohibitif (le biochar est vendu par l'entreprise Sylva Fertilis entre 3 000 et 4 000 euros la tonne) décourage les agriculteurs, d'autant plus que, pour être efficace sur les sols, il faut en épandre entre 4 et 25 tonnes à l'hectare, selon les types de sols. Le biochar en augmentant le pH du sol permet non seulement de compenser l'acidité excessive de certains sols mais permet également au sol d’avoir une charge nette négative et de retenir plus d’éléments fertilisants. Les nutriments deviennent plus disponibles et le biochar augmente la disponibilité du phosphore pour les plantes cultivées dans le sol ainsi traité. Le biochar est un matériau poreux et de faible densité (< 0. 5 g/cm3) et son incorporation dans le sol augmente la porosité et l’aération du sol, rendant ainsi le sol propice au développement racinaire des plantes. Par ailleurs certains biochars possèdent aussi une surface spécifique grande qui leur permet d’absorber les polluants organiques et les métaux lourds dans le sol. La structure microporeuse du charbon de bois lui permet de retenir et de fixer de nombreuses molécules toxiques présentes dans l’eau et de contribuer à sa dépollution.

Une autre étude réalisée par l'Université des sciences et technologies de Kunming et publiée il y a quelques semaines a montré que le biochar pouvait permettre la culture des tomates dans des conditions durcies de sécheresse et de salinité, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour les agriculteurs et paysans des régions les plus arides du globe. Les résultats de cette étude suggèrent que pour cultiver efficacement des tomates dans les zones semi-arides et arides avec des sols sablonneux et une faible productivité agricole, il est indispensable d'apporter au sol divers nutriments et fertilisants pour l'aider à s'adapter à la sécheresse et à la salinité. Ces recherches démontrent que le biochar est justement un outil prometteur pour améliorer la résistance des plants de tomates au stress hydrique et salin.

L'Ademe mène également un important programme chargé d'identifier les qualités physico-chimiques et les potentiels de valorisation des produits de la pyrolyse, dont les biochars. Baptisé Qualichar, le programme fait le lien entre caractéristiques de la pyrolyse et qualité des biochars pour les sols. Il est en effet capital de disposer du bon biochar sur le bon terrain et pour la bonne utilisation. Autre exemple d’utilisation du biochar dans l’amélioration structurale des sols, celui du projet Biochar de Stockholm, lancé en 2017. Celui-ci a permis une gestion conjointe des eaux pluviales et de la végétalisation urbaine, favorisant la croissance des arbres par l’infiltration des eaux pluviales. Grâce à sa structure poreuse, le biochar possède également la capacité précieuse de filtrer et purifier les eaux pluviales en éliminant les polluants, évitant ainsi la contamination des sources d’eau naturelles. D'autres villes, comme Minneapolis et Helsinki ont développé des projets similaires.

Pour l'instant, les acteurs français sur ce marché d'avenir restent peu nombreux mais croient dur comme fer à l'immense potentiel agricole, énergétique et écologique du biochar. C'est le cas de Terra Fertilis, qui produit du biochar en Normandie à base de résidus de bois issus de la gestion des forêts du Grand Est et grâce à un procédé de pyrolyse autoalimenté en énergie. D'autres acteurs, comme Carbon Loop, misent sur un modèle mixte et adaptent leurs installations selon les demandes spécifiques de leurs clients, qui peuvent être des industriels consommateurs d'énergie décarbonée ou des agriculteurs qui veulent gagner des crédits carbone grâce au biochar. Il est vrai que la nouvelle directive européenne RED III, qui vise à étendre les usages de la biomasse, devrait favoriser la production de biochar. C'est en tout cas le pari que fait la jeune société Mini Green Power, qui a développé une technologie permettant de produire une énergie bas carbone à partir de déchets locaux de biomasse mal valorisés et de séquestrer du CO2 en simultané grâce à la production de biochar. « Je suis persuadé que le monde de demain sera constitué de petites installations autonomes et automatisées tournant à partir de déchets », explique Jean Riondel, directeur de Mini Green Power. Une autre société, Carbonloop, pour faire baisser les coûts, veut articuler la production de biochar à la production d'énergie pour des sites industriels. Car la transformation de la biomasse par la pyrolyse permet aussi d'obtenir du biogaz. Renouvelable et neutre en carbone, il peut être transformé en électricité et en chaleur, ce qui permet d'auto-alimenter le pyrolyseur. Et la boucle énergétique est bouclée...

Enfin, il faut évoquer cette remarquable avancée annoncée récemment par des ingénieurs américains qui ont mis au point une méthode innovante pour produire de l’hydrogène à partir de l’eau en utilisant uniquement l’énergie solaire et des déchets agricoles. Cette technique réduit considérablement l’énergie nécessaire à l’extraction de cet hydrogène vert, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour une production chimique durable, massive et respectueuse du climat de l'hydrogène, dont les besoins mondiaux pourraient décupler d'ici 2050 si nous voulons parvenir à décarboner à plus de 80 % l'économie mondiale (Voir UIC today). Les carburants à base d’hydrogène représentent l’une des sources d’énergie propre les plus prometteuses. Cependant, la production d’hydrogène pur est un processus énergivore qui nécessite souvent du charbon ou du gaz naturel. Cette équipe, dirigée par l’ingénieur Meenesh Singh de l’Université de l’Illinois à Chicago, présente un nouveau procédé de production d’hydrogène vert qui repose sur l'utilisation du biochar pour diminuer la quantité d’électricité nécessaire à la conversion de l’eau en hydrogène. En utilisant des sources d’énergie renouvelables telles que l’énergie solaire ou éolienne et en capturant les sous-produits pour d’autres usages, le processus devient finalement neutre en émissions de CO2. « Nous sommes les premiers à montrer que l’on peut produire de l’hydrogène en utilisant de la biomasse avec peu d'énergie », souligne Meenesh Singh qui dirige ces recherches.

Ce processus utilise la biomasse provenant de déchets courants et la transforme en biochar, riche en carbone. Ces chercheurs ont finalement réussi à diviser par six la puissance nécessaire pour convertir l’eau en hydrogène, en utilisant un biochar issu du fumier de vache. L'efficacité énergétique de ce procédé est si grande qu'il suffit pour l'alimenter d'une seule cellule solaire en silicium standard générant environ 15 milliampères de courant à 0,5 volt. « Avec notre procédé, nous atteignons une conversion de presque 35 % du biochar et de l’énergie solaire en hydrogène, ce qui est un record du monde », souligne l'étude. Pour rendre le processus neutre en carbone, il est bien sûr nécessaire de capturer le dioxyde de carbone généré par la réaction mais celui-ci peut alors être valorisé et transformé en différents produits chimiques utiles, comme l'éthylène. « Cette méthode économique de production d’hydrogène pourrait permettre aux agriculteurs de devenir autosuffisants pour leurs besoins énergétiques. » précise l'étude.

Compte tenu du rôle stratégique que vont jouer le différents types de biochar en matière agricole, industrielle, énergétique et climatique, la France ne doit pas reproduire les tragiques erreurs industrielles et économiques qui ont conduit à la dangereuse hégémonie chinoise en matière de panneaux solaires et de terres rares. Notre pays, dans le cadre d'une coopération européenne, doit sans tarder lancer un grand programme visant à une production suffisante et décentralisée de biochar à faible coût, ce qui lui permettra d'accélérer sa transition vers les énergies décarbonées et l'agriculture durable et d'atteindre les objectifs climatiques prévus par les Accords de Paris de 2015.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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