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Edito : LE BÉTON : COMMENT LE MATÉRIAU LE PLUS UTILISÉ PAR L'HUMANITÉ VA SE TRANSFORMER
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René Trégouët
Sénateur Honoraire
Créateur du Groupe de Prospective du Sénat
Rédacteur en Chef de RT Flash
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EDITORIAL :
LE BÉTON : COMMENT LE MATÉRIAU LE PLUS UTILISÉ PAR L'HUMANITÉ VA SE TRANSFORMER
Le monde consomme à présent 4,6 milliards de tonnes de béton chaque année, soit plus d'une demi-tonne pour chaque habitant de la planète (11,5 milliards de m3), ce qui en fait le matériau le plus utilisé sur Terre. La consommation mondiale de béton a doublé au cours de ces vingt dernières années, et elle pourrait à nouveau être multipliée par deux d’ici 2040, principalement sous l’effet de la croissance démographique et économique en Asie. La production mondiale de béton représente environ 8 % des émissions annuelles de CO2, soit près de trois gigatonnes par an. Les extraordinaires propriétés du ciment, composant de base du béton, sont obtenues grâce au clinker : un mélange de 80 % de calcaire et de 20 % d’argile porté à très haute température (1 500°) puis broyé. Et c’est ce clinker qui est la source principale de CO2, avec environ 500 kg de CO2, pour une tonne de mélange produit.
Début octobre 2021, l’Association mondiale du ciment et du béton (GCCA) a annoncé sa feuille de route pour 2030 : une réduction de 25 % des émissions de CO2 supplémentaires d’ici 2030, puis de 80 %, à l’horizon 2050. A cette échéance, une tonne de ciment produite ne devrait plus générer que 133 kilogrammes de CO2 contre 660 kg en 2015, et 503 prévus en 2030, a-t-elle souligné. L’organisation rassemble les principaux acteurs mondiaux du ciment et du béton, qui représentent en tout 80 % de la production mondiale, hors-Chine. Pour atteindre cet objectif ambitieux, les producteurs de ciment et de béton comptent sur plusieurs ruptures technologiques qu’ils veulent combiner.
Il y a quelques jours, la norme européenne sur les ciments « bas carbone » NF EN 197-5 a été officiellement publiée par l’Afnor. Dans ce nouveau cadre réglementaire, de nouveaux ciments, destinés à la préparation de béton, mortier et coulis, présentant une empreinte carbone réduite de 35 % par rapport aux produits actuels et de 50 % par rapport à un ciment Portland, devraient prochainement faire leur apparition sur le marché. L’entreprise Hoffmann Green Cement Technologies a également développé un ciment bas-carbone, réalisé à froid, à partir de déchets industriels, et non de clinker. Le ciment obtenu grâce à ce procédé innovant n’émet que 188 kg de CO2 pour une tonne, contre 660 kg pour une tonne de ciment traditionnel. Le Centre d’Etudes et de Recherches de l’Industrie du Béton (CERIB), a également développé des solutions alternatives au ciment traditionnel, notamment de liants bas-carbone, avec des additions minérales, qui permettent de réduire la part du clinker dans le ciment. Il y a quelques semaines, le géant français du BTP Vinci Construction s'est engagé à utiliser 90 % de béton bas carbone dès 2030. Ce béton durable sera développé à base de laitier de haut-fourneau issu du recyclage de déchets venant de la production de la fonte.
Outre-Rhin, des chimistes de l'Université Johannes Gutenberg de Mayence (JGU) en Allemagne ont développé une technique qui pourrait également permettre de réduire considérablement les émissions de CO2 lors de la production de ciment. Dans ce procédé, la chaux brute (CaCO3), au lieu de devoir être transformée en chaux brûlée dans des fours à charbon, est simplement broyée avec du silicate de sodium solide (Na2SiO3). De ce fait, cette étape de broyage peut s’effectuer à température ambiante, avec une consommation d’énergie bien plus faible. Ce nouveau procédé de fabrication du ciment pourrait permettre à terme d’éviter une gigatonne d’émissions de CO2, c’est-à-dire presque un tiers des émissions de l’UE.
Une start-up bernoise, Neustark, a mis au point une technologie qui transforme le CO2 du béton en calcaire. Issu d’usines de biogaz en Suisse, le CO2 est d’abord liquéfié pour le transport, puis il est pétrifié pour devenir du calcaire ou de la pierre de calcite. Dans une seconde phase, le béton concassé contenant du calcaire est mélangé avec du ciment. Ce procédé permet d’améliorer l’impact climatique du béton frais de 10 %. Concrètement, 10 kilos de CO2 peuvent être séquestrés dans chaque mètre cube de béton et 20 kilos d’émissions de CO2 peuvent être évitées, grâce au processus chimique mis en œuvre. Et, même lors de sa démolition, ce béton ne libère pas le CO2 emprisonné, puisque celui-ci est devenu du calcaire.
Des chercheurs de l’Université de Tokyo ont mis au point un procédé réduisant l’empreinte écologique du béton de plusieurs manières (Voir J-STAGE). Ce nouveau béton est fabriqué à seulement 70°, à partir de gravats difficiles à recycler. En outre, le CO2 injecté dans le mélange peut provenir des infrastructures industrielles ou être extrait directement de l’air. Pour l’instant, ce nouveau ciment présente une résistance à compression plus faible que le béton classique. Toutefois, l’équipe affirme que le béton de carbonate de calcium pourrait dès à présent être utilisé pour la construction de bâtiments de petite taille, et sa résistance améliorée. De son côté, Hanson UK, filiale britannique de HeidelbergCement, participe à un projet de recherche visant à remplacer, pour la production de béton, les combustibles fossiles par de l'hydrogène et la technologie plasma. Air Liquide, en partenariat avec l’américain Solidia Technologies, a pour sa part industrialisé le béton innovant Solidia Concrete, qui utilise du dioxyde de carbone (CO2) pour durcir le béton. Le ciment utilisé pour lier ce béton permet de produire un béton dont l’empreinte carbone est jusqu’à 70 % inférieure à celle d’un béton traditionnel.
Outre-Atlantique, des chercheurs de l’Université de Purdue (Indiana) ont découvert un autre moyen de diminuer sensiblement l’empreinte-carbone du béton : l’ajout de nanoparticule de dioxyde de titane (TiO2) dans la préparation. Ces scientifiques ont découvert que le TiO2 améliorait la capacité du béton à séquestrer le dioxyde de carbone. Il faut savoir que le béton piège de manière naturelle le CO2 présent dans l’air ambiant, par un processus appelé carbonatation, dans lequel des hydroxydes de calcium du ciment vont interagir avec le CO2 afin de retrouver son état initial sous forme de carbonate de calcium. Ces chercheurs proposent d’ajouter de petites quantités de dioxyde de titane à l’échelle nanométrique à la pâte de ciment qui compose le béton, ce qui pourrait doubler dans certaines conditions la capacité d’absorption du CO2 ambiant par le béton.
Un autre facteur incite les fabricants de bétons à trouver des matériaux alternatifs à la place des granulats naturels, en raison de la diminution des ressources en sable au niveau mondial. En France, le projet de recherche Recybeton, qui regroupe plusieurs laboratoires français, vise à fabriquer du béton de haute qualité à partir de béton recyclé. Ces recherches ont permis de confirmer la faisabilité et la durabilité des bétons à base de granulats de béton recyclé. Des chercheurs de l’Université de Lorraine et du CNRS travaillent, quant à eux, sur le recyclage de certains sables usagés, comme ceux issus de fonderies de pièces qui sont coulées dans du sable avec du métal en fusion.
L’utilisation d’un autre type de matériau ne cesse également de se développer dans la construction : les « fibres-ciment ». Il s’agit de matériaux composites fabriqués à partir de ciment, d’eau, de fibres et de substances minérales, qui présentent la particularité d’être très résistants, inoxydables, incombustibles, et faciles à mettre en forme. Le fibre-ciment ne cesse d’étendre son champ d’application dans le bâtiment et il possède un haut niveau de recyclabilité.
Inventé en Suède, il y a un siècle, le béton cellulaire ne cesse également de se perfectionner et de se développer. Produit à partir de sable, chaux et ciment, cet étonnant matériau présente de nombreux avantages : il présente une excellente résistance mécanique et sismique, est ininflammable, se travaille facilement et présente un remarquable pouvoir isolant, grâce à ses microstructures, composées de plus de 80 % d’air. Mais si le béton cellulaire intéresse autant le bâtiment, c’est aussi parce que sa fabrication est sobre en énergie et peut se faire à basse température (180°C). Le béton cellulaire peut enfin, en fin de vie, être recyclé et valorisé en matériaux secondaires.
En 2018, des chercheurs et ingénieurs de l’Imperial College de Londres ont dévoilé un autre matériau de construction qui possède également des propriétés étonnantes. Il s'agit d'un béton d’un nouveau genre, qui peut être fabriqué à partir du sable du désert en utilisant un liant naturel dont la formule reste secrète. Baptisé Finite, ce béton possède une empreinte carbone deux fois moindre que celle de son prédécesseur, et d’excellentes propriétés mécaniques. Matteo Maccario, à l’origine de ce projet, souligne que « Contrairement à ce que nous pensions initialement, le sable n’est pas si abondant. Le boom de la construction dans les pays émergents a entraîné une pénurie qui a des conséquences environnementales et sociales dramatiques, notamment en Asie ».
En Suisse, des ingénieurs et des chercheurs de l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) ont construit une passerelle piétonne de 10 mètres de portée à partir de 25 blocs de béton issus des murs d’un bâtiment en rénovation, initialement destinés à être démolis. Les blocs en béton armé ont été sciés un à un sur place puis réassemblés en un arc précontraint. Cette première mondiale a montré qu’il était possible de réduire drastiquement l’impact climatique environnemental lié à la production de ciment et de béton. Ces scientifiques soulignent que le béton constitue un tiers des déchets de démolition et que ces derniers restent peu ou mal recyclés. Selon eux, il serait bien plus efficace, du point de vue énergétique et écologique, de découper et réemployer les blocs tels quels, de façon à éviter la production de nouveau ciment et à limiter celle de déchets. Cette équipe de recherche de l’EPFL espère que le monde de l’industrie va s’emparer de son innovation. Pour ces chercheurs, il faut qu’à l’avenir tout béton de structure obsolète soit réemployé en pièces reformatées, de manière à pouvoir se substituer de plus en plus au béton neuf !
Les innovations se bousculent aussi en matière de conception et de composition du béton, avec la redécouverte et le recours inattendu à des matériaux naturels très anciens. La société « Construction Composites Bois » a par exemple développé un béton de bois, baptisé « Lignoroc ». Un mètre cube de ce nouveau matériau, où les granulats ligneux remplacent le sable et le gravier, présente un bilan négatif de -236 kg de CO2. Produit de façon mécanique, ce béton de bois n'a pas recours à la chimie et, avec ce matériau, une maison de 120 mètres carrés stocke 6 tonnes de CO2, au lieu d’en consommer au minimum cinq tonnes pour sa construction. Ce Lignoroc, trois fois plus léger que le béton classique, est en cours d'homologation pour la norme R + 3 en murs pleins et R + 7 en panneaux de façade.
Apparu il y a une trentaine d’années, le béton de chanvre est également promis à un bel avenir. Il s’agit d’un matériau qui s’inspire de techniques de construction très anciennes, associant le minéral et le végétal. Il est obtenu en mélangeant des particules de chanvre avec un liant, de l’eau et des adjuvants. Ce béton de chanvre peut être utilisé aussi bien dans la construction neuve qu’en rénovation, et son pouvoir isolant est tel qu’il permet, dans certains cas, de réduire jusqu’à 70 % le besoin en chauffage des bâtiments. Quant à son empreinte-carbone, elle est plus qu’excellente, puisque les murs en béton de chanvre peuvent devenir neutres en carbone, c’est-à-dire stocker autant de CO2 qu’il a fallu en émettre pour produire ce matériau…
Utilisée depuis au moins 10 000 ans, la terre crue fait également son grand retour dans le domaine de la construction. Recyclable à l’infini, ce matériau abondant et peu onéreux permet à présent de réaliser des dalles ou des chapes et ne nécessite pas de cuisson à haute température, ce qui réduit considérablement son impact climatique et environnemental. Depuis quelques jours, le groupe Quartus s'est engagé dans la construction d'une fabrique en terre crue, en réutilisant des déblais extraits des chantiers du Grand Paris. Situé à proximité du RER Sevran-Beaudottes (Seine-Saint-Denis), ce bâtiment en ossature bois de 2200 mètres carrés permettra de recycler jusqu’à 10 000 tonnes de terres par an, en produisant des briques de terre comprimée, des mortiers et des enduits.
Le Groupe Gambetta vient, pour sa part, de lancer la commercialisation de son programme « Terre & Ciel », située dans l’écoquartier Victor Hugo, à Bagneux. Cette résidence de 42 logements a pour particularité d’utiliser également la terre crue, issue d’un circuit court, comme matériau de construction. Selon ce promoteur, l’utilisation de la terre crue se justifie pleinement, compte tenu de ses excellentes propriétés d’isolation thermique et phonique et de sa faible empreinte-carbone.
Il faut enfin souligner que le béton de demain ne sera pas seulement durable, écologique et largement recyclable. Il sera également autoréparant, grâce aux apports décisifs des biotechnologies. Des chercheurs de l’Université de Colorado travaillent déjà sur des procédés d’intégration contrôlée de bactéries dans le béton, pour capter la lumière et le dioxyde de carbone présents dans l’air afin de produire du carbonate de calcium qui viendrait boucher les fissures du béton qui apparaissent au cours de son vieillissement. Des recherches similaires sont menées aux Pays-Bas, à l’Université de Delft, où des chercheurs ont montré la faisabilité d’une incorporation de bactéries et de lactate de calcium dans des capsules d’argile, intégrées dans la fabrication du béton. Ces capsules, contenues dans les granulats, sont conçues pour se fissurer en même temps que le béton, ce qui entraîne l’activité bactérienne qui va produire, là aussi, du carbonate de calcium permettant de colmater les fissures.
On le voit, le béton, inventé sous sa forme moderne il y a plus de deux siècles par Louis Vicat, est devenu le matériau-roi de notre civilisation et il est présent dans les deux-tiers des constructions neuves. Outre son impact considérable sur la consommation mondiale d’énergie et le climat, l’utilisation massive de ce matériau a provoqué, en 2020, une rupture symbolique majeure : pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, la masse totale des constructions et productions humaines (1,1 teratonne) a en effet dépassé celle de l’ensemble de la biomasse vivante sur Terre (une teratonne), selon une étude réalisée par l’Institut Weizmann pour les Sciences (Voir Nature). Dans un tel contexte, on comprend mieux à quel point la transition vers un béton durable, recyclable, à très faible empreinte-carbone, et autoréparant (autant de propriétés qui permettront de réduire de manière substantielle les besoins globaux de production de ce matériau) est devenue une priorité technologique, économique et environnementale majeure.
Les bétons que nous utiliserons dans seulement une dizaine d’années seront très différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui, tant leur valeur ajoutée technologique sera grande. Ces matériaux de construction intégreront de nombreuses avancées scientifiques en chimie, en énergie, en physique et en biotechnologies. A plus long terme, on peut même imaginer que le béton puisse devenir entièrement biodégradable et réutilisable sous de multiples formes, et s’intègre totalement dans un schéma d’économie circulaire vertueuse, pour l’économie, comme pour la planète. C’est en tout cas l’objectif que l'Humanité doit se fixer et qui peut être atteint, si nous savons mobiliser notre recherche fondamentale, alliée à notre recherche industrielle, pour que le monde puisse poursuive son indispensable développement et réaliser les équipements, infrastructures et logements dont il a besoin, mais en atteignant un bilan carbone neutre pour l’environnement et en rendant, in fine, à la nature, ce que nous lui avons emprunté pour la production de ce matériau qui n’a pas fini de se métamorphoser…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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