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Une bactérie modélisée à l’échelle moléculaire sur un cycle de vie entier
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L’un des grands défis actuels de la biologie moléculaire est de déterminer l’ensemble des activités et fonctions nécessaires pour qu’une cellule se développe et se divise. Une approche consiste à construire la cellule la plus simple possible, contenant uniquement les gènes indispensables à son fonctionnement. Avec l’idée que son étude et sa modélisation nous renseigneront sur le fonctionnement des cellules réelles, plus complexes, tout comme celle du plus simple des atomes, l’atome d’hydrogène, a aidé à comprendre l’architecture d’atomes plus lourds. Une équipe de chimistes, de physiciens, de biologistes et de bio-informaticiens autour de Zaida Luthey-Schulten, de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign, aux États-Unis, vient de franchir une étape clé de cette quête de longue haleine en simulant le cycle de vie complet d’une cellule minimale.
Lorsque, à partir de 1995, on a commencé à séquencer des génomes entiers de bactéries, puis d’organismes plus complexes, on s’est vite aperçu qu’on ignorait la fonction de nombre de gènes séquencés, même chez l’organisme capable de se répliquer qui présente le plus petit génome connu – la bactérie Mycoplasma genitalium. Le génome de ce microorganisme responsable d’une maladie sexuellement transmissible ne compte que 525 gènes (une cellule humaine en a plus de 20 000).
La première approche pour combler cette lacune consiste à étudier systématiquement le rôle de chaque gène inconnu, un travail long et laborieux. Mais en 2008, des chercheurs de l’Institut J.-Craig-Venter, à Rockville (et maintenant aussi à La Jolla), aux États-Unis, ont synthétisé pour la première fois le génome entier d’une bactérie – toujours Mycoplasma genitalium – et ont montré que ce génome synthétique était viable. Dès lors, il devenait possible d’adopter une autre approche : partir d’un tel génome et y supprimer les gènes non nécessaires à la vie de l’organisme.
C’est ainsi qu’en 2016, après plusieurs années d’essais, le groupe de l’Institut J.-Craig-Venter a construit une cellule minimale à partir du génome synthétique d’une bactérie cousine, Mycoplasma mycoides. La construction a eu lieu en plusieurs étapes. En 2010, l’équipe a d’abord synthétisé un génome presque identique à celui de la bactérie (qui compte plus de 900 gènes) et l’a substitué à celui d’une cellule d’une autre espèce de mycoplasme, qui s’est transformée en une bactérie Mycoplasma mycoides viable. C’est ce génome que les chercheurs ont réduit, jusqu’à arriver, en 2016, à un organisme synthétique viable, nommé Syn3A, fonctionnant avec seulement 493 gènes, dont 452 codent des protéines et dont seule une petite fraction (20 %) n’a pas de fonction claire.
Il y a quelques années, l’équipe de Zaida Luthey-Schulten, qui collabore étroitement avec des chercheurs de l’Institut J.-Craig-Venter, s’est lancé un défi : modéliser le fonctionnement de cette cellule minimale sur un cycle de vie complet, incluant sa division. En 2012, Markus Covert, à l’Université Stanford, aux États-Unis, et ses collègues, ont publié un modèle de Mycoplasma genitalium qui, pour la première fois, prenait en compte tous les gènes et processus chimiques connus dans un organisme capable de se répliquer. Ce modèle représentait presque tous les aspects de la vie de la cellule, de sa croissance à sa réplication. Cependant, les différentes fonctions cellulaires (métabolisme, transcription de l’ADN, réplication de l’ADN, réparation de l’ADN, polymérisation de l’anneau qui divise la cellule en deux cellules filles par étranglement…) étaient réparties en 28 modules distincts, chacun modélisé à l’aide de la méthode mathématique la plus appropriée. En d’autres termes, le modèle était plus fin dans sa description que tous les précédents, mais pas encore au point de prendre en compte la fonction de chaque gène de manière complètement intégrée.
C’est la prouesse que l’équipe de Zaida Luthey-Schulten a réalisée. Dans une première étape, en 2019, elle avait déjà modélisé le réseau de réactions chimiques qui ont lieu dans la cellule minimale Syn3A (c’est-à-dire son métabolisme) en s’appuyant sur les données expérimentales. À présent, elle a produit un modèle cinétique de cette cellule en ajoutant les fonctions des macromolécules : quelque 2 000 réactions liées à l’activité de 251 gènes qui interviennent dans les divers processus régissant la production de chaque protéine à partir de l’ADN.
De plus, le modèle prend en compte la géométrie de la cellule. À partir d’observations en cryotomographie électronique, une technique de microscopie électronique qui restitue la cellule en trois dimensions, l’équipe a reproduit la disposition des ribosomes (les unités de production des protéines) dans un modèle tridimensionnel de la bactérie, où elle a ensuite positionné les divers autres éléments, notamment le chromosome, à l’aide de règles de remplissage et d’exclusion. Ce volet spatial du modèle est trop gourmand en énergie pour fonctionner durant tout un cycle cellulaire, mais les 20 minutes qu’il simule suffisent à affiner la modélisation de la cinétique des réactions, en y injectant le fait que la cellule est un milieu hétérogène où les macromolécules doivent diffuser un certain temps avant d’interagir.
Finalement, l’équipe a obtenu un modèle dynamique presque complet de la cellule sur un cycle de vie entier, qui a révélé comment la cellule équilibre les demandes pour son métabolisme, la transcription de son génome et sa croissance. Elle a aussi vu émerger des déséquilibres, et comment la cellule y remédie en ralentissant certains processus. « Ce travail est important, car il nous rapproche d’une compréhension complète et intégrative des mécanismes cellulaires », commente Sébastien Rodrigue, qui dirige le groupe de recherche sur la biologie synthétique et des systèmes de l’Université de Sherbrooke, au Canada.
Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash
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- Publié dans : Biologie & Biochimie
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