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Les babouins peuvent-ils apprendre à lire ?
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Comment distingue-t-on, en une fraction de seconde, un mot d'une succession aléatoire de lettres ? En lui attribuant un sens, comme le postule la théorie dominante, ou en détectant certaines régularités formelles dans l'enchaînement des lettres ? Pour le déterminer, Jonathan Grainger, de l'Université d'Aix-Marseille, et ses collègues ont appris à des babouins à distinguer des mots écrits de « pseudo-mots » (des séquences de lettres dépourvues de sens) : leurs résultats montrent qu'une telle distinction est possible en se fondant uniquement sur des capacités de reconnaissance des formes et d'analyse statistique, probablement antérieures aux facultés linguistiques.
La plupart des théories admettent que la lecture commence par une phase dite de traitement orthographique, lors de laquelle la forme des lettres et de leurs enchaînements est analysée. Les études d'imagerie cérébrale montrent d'ailleurs que les premières zones du cerveau qui s'activent durant la lecture sont situées sur la face ventrale du cortex occipito-temporal gauche, une zone associée à la reconnaissance des objets et des visages. Mais selon la théorie dominante, on ne peut apprendre à faire un traitement orthographique efficace que si l'on dispose au préalable de connaissances phonétiques (du son produit par les lettres) et sémantiques (du sens des mots). C'est cette hypothèse qu'ont voulu tester les chercheurs.
Pour enseigner un nouveau mot à un babouin, ils lui présentaient des séquences de quatre lettres par tranches de 100 : dans 25 cas, il s'agissait du nouveau mot, dans 25 autres de mots appris précédemment et dans les 50 restants de « pseudo-mots ». Le babouin devait indiquer, en pressant une forme ovale ou une croix sur un écran tactile, s'il était confronté à un mot ou à un pseudo-mot. Il recevait une récompense (des grains de céréales) en cas de bonne réponse. L'animal identifiait donc un mot comme une séquence de lettres qui lui était régulièrement présentée (les pseudo-mots, quant à eux, variaient souvent), sans lui attribuer aucun contenu sémantique.
En un mois et demi, les babouins ont appris plusieurs dizaines, voire centaines de mots. En moyenne, ils ont reconnu ces mots, affichés alternativement avec des milliers de pseudo-mots, dans 75 pour cent des cas. En outre, à mesure des apprentissages, ils distinguaient de plus en plus souvent un pseudo-mot d'un mot dès la première présentation de ce dernier : cela montre qu'ils ne se fondaient plus seulement sur la répétition d'une certaine séquence de lettres pour lui attribuer le statut de mot, mais qu'ils avaient appris à détecter certaines régularités, tels des groupes de deux lettres apparaissant fréquemment, dans l'organisation des mots. La capacité d'extraire une telle information serait donc partagée par l'homme et par certains de ses cousins primates, ce qui suggère qu'elle remonte à l'un de leurs ancêtres communs.
La préexistence de structures cérébrales efficaces de reconnaissance des formes et d'analyse statistique, exploitées par la lecture, expliquerait nos facilités à apprendre à lire. Un exemple illustre bien cette facilité : au début du XIXe siècle, un système d'écriture composé de 86 caractères a été inventé pour transcrire la langue Cherokee, auparavant exclusivement orale ; il s'est répandu dans la population en moins d'une génération…
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