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Edito : Avion supersonique : la course mondiale est relancée
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Depuis l’arrêt du Concorde, l’avion supersonique franco-britannique, construit à seulement seize exemplaires, qui vola pour la première fois le 21 mars 1969 et fut exploité en vols commerciaux du 21 janvier 1976 au 31 mai 2003, on reparle régulièrement du retour d’un avion de ligne supersonique. Mais depuis quinze ans, tous les projets annoncés sont restés dans les cartons des laboratoires et centres d’essais, faute de moyens financiers, de cohérence économique et de volonté politique.
Il semble pourtant que, depuis quelques mois, la perspective de revoir enfin voler un avion de ligne supersonique soit en passe de se concrétiser. En juin dernier, à l'occasion du salon du Bourget, la start-up américaine Boom Supersonic a en effet annoncé que le premier vol de son avion Boom, capable de voler à la vitesse du son, avec des passagers à bord, deviendra réalité fin 2018.
Spike veut, dans un premier temps, tester son prototype « Baby-Boom », ainsi nommé car sa taille sera un tiers de celle de l’appareil final. Selon Blake Scholl, le fondateur de Spike, Boom deviendra ainsi l'avion civil le plus rapide de tous les temps, avec une vitesse de Mach 2,2 (2 335 km/h, soit 10 % de plus que celle du Concorde (Mach 2), et 2,6 fois plus rapide que les autres avions de ligne. Ainsi, un vol Paris-New York ne prendrait que 3 h 30, au lieu de 7 heures actuellement, un San Francisco-Tokyo 5 h 24 au lieu de 11 heures et un Los Angeles-Sydney 6 h 45 au lieu de 15 heures. Quant au premier vol commercial de la version finale de Boom, il est prévu pour 2023, si le projet aboutit.
Pour parvenir à cet exploit, l'avion fera massivement appel à des matériaux composites, plus résistants à la chaleur et plus légers, ce qui réduira la consommation en carburant. Pour la motorisation, Baby Boom sera équipé des moteurs du chasseur F-5 développé par General Electric. Dans sa version finale, Boom devrait embarquer de 45 à 55 passagers, principalement pour les vols longs. L'avion sera proposé à environ 180 millions d'euros au prix catalogue, un prix qui reste très élevé, comparé aux 280 millions d'euros que coûte un Airbus A 350-900, qui peut embarquer six fois plus de passagers…
Il y a quelques jours, Spike a assuré que 76 exemplaires de son "Boom" avaient déjà été réservés par cinq compagnies aériennes. Par ailleurs, ce projet Boom Supersonic vient de recevoir un soutien de poids, puisque Japan Airlines (JAL), l'une des vingt plus grandes compagnies mondiales, s'est engagée dans le projet à hauteur de 10 millions de dollars et a pris une option sur 20 exemplaires de l'avion (baptisé XB-1 «Baby-Boom»). « Nous allons collaborer avec Boom afin d'améliorer le design de l'avion et l'aider à enrichir l'expérience d'un voyage supersonique pour les passagers », a souligné la compagnie japonaise qui vise une position de leader sur ce marché du vol supersonique à forte valeur ajoutée.
Autre projet à suivre, celui développé conjointement et présenté il y a quelques semaines par l’avionneur américain Lockheed-Martin et la société Aerion, pour réaliser le futur avion supersonique AS2. Ce jet d’affaires, baptisé AS2 aura un rayon d’action pouvant atteindre 9 300 km ; il pourra transporter douze passagers à une vitesse de Mach 1,5 (1 930 km/h), il sera vendu aux alentours de 120 millions de dollars et permettra de rallier Paris à Washington en seulement trois heures.
Pour s’appuyer sur une expertise technique reconnue, Aerion s'est associé à Airbus qui apportera son savoir-faire dans certains domaines essentiels, comme les commandes de vols électriques, la gestion numérisée du carburant et la maîtrise des matériaux composites. Le premier vol est prévu en 2019 et mise en service en 2023. Aerion espère vendre 600 de ces appareils supersoniques d’ici 2040.
De son côté, Spike Aerospace poursuit depuis octobre dernier ses essais concernant son futur jet supersonique 521 que la société américaine veut faire voler dès 2021, pour une commercialisation en 2023. L'avion supersonique S-521 pourra accueillir 22 passagers et disposera d'une autonomie de 9 980 kilomètres avec une vitesse de croisière de 1 970 km/h, de quoi faire un Londres-New-York en deux heures.
La firme américaine Lockheed Martin s'est pour sa part associée avec la Nasa afin de développer un appareil à la fois plus sobre en énergie mais également bien moins bruyant que les avions supersoniques de première génération. Conçu pour voler à 16 km d'altitude à une vitesse d'1,4 Mach (1 234 km/h), le Quiet Super Sonic Transport (appareil de transport supersonique silencieux) vise un niveau sonore particulièrement faible : 60 décibels, soit le bruit d'une conversation normale. Pour parvenir à relever ce défi qui lui permettrait de survoler des zones habitées, la Nasa et Lockheed ont réalisé un énorme travail de recherche et de modélisation informatique sur la structure, la forme, les matériaux et l'aérodynamique de l'avion. Ce « QSST », activement soutenu par le gouvernement américain devrait effectuer son premier vol d’essai en 2021.
Il est vrai que l’un des principaux obstacles au développement d’avions supersoniques pour le transport de passagers reste le bruit et notamment le fameux « bang » supersonique qui accompagne le passage du mur du son. Et il n’est plus question aujourd’hui d’autoriser le vol d’un avion supersonique comme le Concorde qui, en dépit de son extraordinaire avance technologique pour l’époque, émettait un bruit de 120 db au décollage, l’équivalent d’un coup de tonnerre… Reste que cet appareil supersonique « silencieux », qui pourra faire un Paris-New-York en 4h30 aura une capacité de seulement 18 sièges, contre une centaine de passagers pour le Concorde.
Mais alors que la nouvelle génération d’appareils supersoniques n’a pas encore décollé, et reste essentiellement destinée à une clientèle d'affaires, les principaux constructeurs travaillent déjà sur des projets d’avions hypersoniques, pouvant voler à plus de trois fois la vitesse du son. Chez Airbus, chercheurs et ingénieurs travaillent sur le projet « Concorde 2 », présenté en juillet 2015. Cet avion, proche dans sa conception et son design d’une navette spatiale devrait se décliner en une version commerciale et une autre militaire ; il pourra embarquer une vingtaine de passagers.
Là encore, pour réduire les nuisances sonores, une solution innovante a été imaginée : elle consiste en l’utilisation de trois moteurs différents. Dans un premier temps, deux turbojets assureront le décollage à la verticale ; dans une deuxième phase, un moteur-fusée propulsera l'aéronef à son altitude de croisière soit jusqu'à 35 000 mètres. Enfin, troisième temps, des statoréacteurs assureront le vol à une vitesse de croisière qui devrait avoisiner les 5 500 km/h (Mach 4,5), ce qui promet un vol Paris – New-York en une heure !
Dans ce domaine hautement stratégique, la Chine, comme elle le fait déjà en matière spatiale, compte bien affirmer ses ambitions. Elle a récemment dévoilé son projet d’avion hypersonique, l’I Plane (Voir Science China). Les chercheurs de l’Académie Chinoise des Sciences ont présenté les résultats positifs des premiers essais aérodynamiques menés sur l’I Plane, et ces tests montrent bien que cet appareil futuriste peut voler à une vitesse allant de 6115 et 8642 km/h. En retenant une vitesse moyenne de 7000 km/h, les passagers de l’I-Plane ne mettraient qu’une heure pour voyager de Paris à New York, contre environ 7h pour les vols commerciaux actuels.
Pour atteindre une telle vitesse, le prototype chinois a opté pour une voilure en « libellule » particulièrement originale, comportant deux paires d’ailes superposées afin de minimiser les turbulences et la traînée tout en augmentant la portance. Reste que, dans sa version actuelle, la portance de l’I Plane n’est que du quart de celle d’un Boeing 737, ce qui signifie qu’il ne peut embarquer que 5 tonnes ou 50 passagers, contre 20 tonnes ou 200 passagers pour le Boeing 737. La Chine, qui veut absolument rattraper son retard technologique sur les Etats-Unis en matière d’hypervélocité stratégique n’exclut pas de développer une version militaire de cet appareil, associé à des missiles hypersoniques très difficilement interceptables.
Face à ces initiatives et projets américains et chinois, l’Europe ne reste pas inactive et a lancé en 2015 le projet HIKARI («High speed key technologies for future air transport ou Recherche pour les transports aérien du futur à grande vitesse). Les 14 membres de son consortium, dont deux partenaires japonais, se sont donné comme mission d’organiser les recherches menées en Europe et au Japon dans le domaine du vol hypersonique. Ce projet comporte trois volets : fédérer les initiatives, tenir compte d'un futur marché commercial, et faire progresser les technologies nécessaires au vol hypersonique.
Depuis 2010, un consortium d’entreprises européennes s’est également fixé pour objectif la réalisation à l’horizon 2040 d’un avion hypersonique commercial, capable de rallier Paris à New York en moins d’une heure. Baptisé Lapcat ("Long-Term Advanced Propulsion Concepts and Technologies"), cet avion hypersonique, capable d’embarquer 300 personnes et de voyager à une vitesse allant de Mach 5 à Mach 8 (de 6 120 km/h à 9 782 km/h), bénéficie du soutien de l’Agence spatiale européenne (ESA). Cet appareil devrait être propulsé par des moteurs alimentés à l’oxygène et à l’hydrogène. Dans l’atmosphère, il utiliserait l’oxygène présent dans l’air, avant de recourir à l’hydrogène contenu dans ses réservoirs embarqués, une fois dans l’espace.
De leur côté, Lockheed Martin et l’armée américaine, conscients des ambitions européennes et chinoises en matière d’aviation civile et militaire, développent actuellement l’avion hypersonique SR-72, successeur du mythique SR-71 Blackbird, l'avion espion américain. Le SR-72 pourra atteindre Mach 6 (7400 km/h) et il devrait être opérationnel en 2030. Cet avion redoutable est conçu pour emporter des missiles de croisière hypersoniques et permettre à l’US Air Force de frapper n’importe quel point du globe en moins d’une heure. Avec ce projet, il s’agit pour les Etats-Unis de mettre en œuvre, avec une longueur d'avance sur la Chine, la Russie et l'Europe, le nouveau concept militaire « d’hypervélocité » qui consiste à pouvoir pénétrer à l’intérieur d’un espace aérien adverse, pour frapper l’ennemi à l'aide de vecteurs hypersoniques, sans que celui-ci n’ait le temps et les moyens de réagir. Boeing ne veut pas être en reste dans le volet militaire de cette course technologique et a également présenté en janvier dernier son projet "Son of Blackbird" qui consiste à concevoir et réaliser un avion militaire pouvant succéder au Blackbird et voler à Mach 5, en combinant un turboréacteur classique, jusqu’à Mach 3 puis un statoréacteur pour atteindre sa vitesse de croisière.
Il est important de souligner que la France est remarquablement bien placée dans cette compétition technologique, industrielle, militaire et stratégique, grâce notamment à sa maîtrise des statoréacteurs, qui équipent nos missiles nucléaires depuis 1986 et dont le principe a été découvert par l'ingénieur René Lorin en 1913. Le grand avantage du statoréacteur (associé à un turboréacteur qui fournit la poussée initiale) est qu’il ne nécessite ni turbine ni compresseur, car l'air capté dans l'atmosphère à grande vitesse est déjà chaud et n'a donc pas besoin d'être mis sous pression pour entrer dans la chambre de combustion. Mais, compte tenu des contraintes mécaniques, chimiques et thermiques considérables qu’entraîne cette technologie du statoréacteur, celle-ci nécessite une maîtrise extrêmement poussée de la modélisation informatique et de l’utilisation de matériaux composites de pointe.
A la lumière de ce rapide tableau des révolutions en cours dans le domaine de l’aéronautique, on voit que ces vingt prochaines années verront non seulement le retour des avions et vols commerciaux supersoniques mais peut-être également l’apparition d’appareils et de vecteurs hypersoniques, du moins dans le domaine militaire, qui s'en trouvera profondément bouleversé. Il reste que la généralisation du vol commercial à très grande vitesse – Mach 4 et au-delà – ne dépendra pas seulement d’un certain nombre de ruptures technologiques qui restent incertaines, mais également de la bonne intégration de contraintes économiques et environnementales (consommation, coût du billet, impact sur la composition de l’atmosphère et réchauffement climatique, bruit) désormais considérées comme majeures par nos concitoyens.
Étant un incorrigible optimiste, je reste néanmoins persuadé que ces différents défis seront surmontés par l’imagination et l’inventivité humaines et que nous verrons, d’ici le milieu de ce siècle, des avions commerciaux hypersoniques capables de relier les grandes villes les plus éloignées de notre planète, comme Londres et Sydney, en moins de quatre heures. Notre Terre, dont huit habitants sur dix seront devenus citadins, deviendra alors vraiment ce « village planétaire » si souvent annoncé…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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