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Edito : Avant 2020 : Une cartographie complète de notre ADN en moins d'une heure !
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Il y a exactement un siècle, le grand scientifique américain Thomas Morgan (prix nobel de médecine en 1933) qui ne croyait pourtant pas aux lois de l'hérédité découverte empiriquement par Mendel en 1865, démontrait magistralement l'existence des mutations génétiques dans ses célèbres expériences sur les mouches drosophiles. Il montrait peu de temps après que les chromosomes étaient bien les supports des gènes et en 1913, Morgan et Strutevant réussirent à établir la première carte génétique du chromosome X de la mouche drosophile en repérant l'emplacement des gènes sur ce chromosome.
Quarante ans plus tard, en 1953, l'américain James Watson et l'anglais Francis Crick découvraient la structure en double hélice de l'ADN et faisaient entrer la génétique et l'ensemble des sciences de la vie dans une nouvelle ère. Début 2001, à l'issue de 15 ans d'efforts, les deux équipes scientifiques en compétition, le Human Genomic Program et le groupe privé Celera Genomic, dirigé par Craig Venter, publiaient une première carte de 95 % du génome humain, composé, comme on le sait, de 3 milliards de paires de bases qui constituent nos 23 paires de chromosomes. Fin 2004, une nouvelle étape était franchie avec la publication de la cartographie complète du génome humain mais réalisé à partir de plusieurs personnes. Enfin, en 2007, les scientifiques publiaient la première "carte" complète du génome d'un seul individu.
La plus grande surprise révélée par cette entreprise titanesque fut le faible nombre de gènes composant notre génome : environ 22 000, selon les dernières estimations alors que la plupart des scientifiques prévoyaient au moins 120 000 gènes au début des années 90 ! Ce nombre réduit de gènes montrait que la complexité de notre génome résidait essentiellement dans l'action combinée de nos gènes et dans leurs modes d'expression.
Dés 1990, alors que le séquençage de notre code génétique commençait à peine, des scientifiques américains réalisaient les premières tentatives de thérapie génique. Il s'agissait alors de traiter un enfant atteint d'une maladie héréditaire liée à un déficit en adénosine désaminase. En France, les essais de thérapie génique commencèrent en 1993 et fin 2010, une équipe française dirigée par Philippe Leboulch parvenait à traiter un patient atteint d’une maladie génétique grave du sang, la ß -thalassémie, grâce à une nouvelle forme de thérapie génique.
En octobre 2007, une équipe française dirigée par Patrick Aubourg - neuropédiatre à l'hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris, franchissait une nouvelle étape en réussissant la première thérapie génique au monde contre l'adrénoleucodystrophie, une maladie génétique très grave qui provoque une démyélinisation du système nerveux central. En utilisant une forme désactivée du virus du sida comme vecteur, les chercheurs parvenaient à transférer le gène manquant dans les cellules de la moelle osseuse et les cellules sanguines de deux malades. Grâce à cette correction génétique, les cellules nerveuses se sont mises à produire la protéine qui faisait défaut, ce qui s'est traduit par une amélioration durable de l'état de santé des patients.
En août 2011, une équipe américaine dirigée par le docteur Carl June (Université de la Pennsylvanie) a annoncé avoir obtenu des résultats très encourageants contre certaines formes de leucémie (leucémie lymphoïde chronique). Ces chercheurs ont réussi à modifier les lymphocytes T en y introduisant un gène et les cellules ainsi modifiées se sont mises à détruire les cellules cancéreuses de manière particulièrement efficace. Forts de ce succès, ces chercheurs veulent à présent tester cette thérapie sur d'autres cancers graves comme le cancer du cerveau, du pancréas et des ovaires.
Il y a quelques semaines, une équipe américaine dirigée par le Docteur Jean Bennett, professeur d'Ophtalmologie à l'Université de Pennsylvanie, annonçait le succès d'une thérapie génétique expérimentale dans le traitement de l’amaurose congénitale de Leber (ACL), une dégénérescence incurable des récepteurs lumineux de la rétine qui finit par provoquer à terme une cécité complète. Ces chercheurs sont parvenus à utiliser un virus comme vecteur pour corriger la mutation du gène RPE65, responsable de cette maladie grave. Ils peuvent à présent traiter les deux yeux des malades atteints par cette grave affection de la vue.
Enfin, il y a quelques jours, des chercheurs britanniques du University College London (Grande Bretagne) et du St. Jude Children's Research Hospital (USA) ont réussi à traiter par thérapie génique six patients atteints d'hémophilie B en introduisant à l'aide d'un virus le gène manquant dans les cellules qui normalement produisent le Facteur IX assurant la coagulation. Ces résultats remarquables ouvrent une nouvelle voie thérapeutique dans le traitement de l'hémophilie B.
Parallèlement à ces avancées spectaculaires en matière de cartographie du génome humain et de thérapie génique, des progrès considérables ont été accomplis au cours de ces dernières années en matière de séquençage des gènes. Le grand scientifique Frederick Sanger qui a reçu deux prix Nobel de chimie, en 1958 et 1980, a mis au point en 1977 la première technologie de séquençage de l'ADN. Cette méthode qui porte son nom repose sur la séparation par électrophorèse des fragments d'ADN. Elle est efficace mais n'a pas un très bon rendement et nécessite une préparation de l'ADN relativement onéreuse. La méthode Sanger a néanmoins permis de décoder le génome de nombreux organismes et animaux, dont le rat.
A partir de 2005, sont apparues les technologies par séquençage de nouvelle génération (ou NGS pour next generation sequencing) qui reposent sur le décodage simultané de millions de fragments d'ADN. Enfin, depuis 2009, une troisième génération technologique est apparue, le séquençage en temps réel qui repose sur les nanotechnologies et permet le séquençage de brins de plus de 1000 bases à une vitesse de 10 bases par seconde.
Mais une nouvelle révolution technologique se profile et, à l'occasion du congrès consacré aux avancées dans le domaine de la génétique et de la génomique qui vient d'avoir lieu à Marco Island (Floride), la société Oxford Nanopore Technology (ONT) a fait sensation en présentant deux nouveaux outils de séquençage : le MinIon et le GridIon.
Ces outils utilisent des nanopores d'un diamètre variant de 1 et 100 nm. Lorsqu'une molécule d'ADN traverse l'un de ces nanopores, ce dernier produit un signal électrique spécifique correspondant au type de nucléotides concerné. Cette technologie simple et peu coûteuse devrait permettre de diminuer considérablement le temps de séquençage des brins d'ADN et le coût de cette opération. Autre innovation remarquable présentée par Oxford Nanopore : le "MinIon". Il s'agit d'un petit terminal, vendu 700 euros, qui ressemble à une clé USB et peut lire directement l'ADN contenu dans un échantillon de sang. Il a été testé sur des génomes simples de microorganismes (bactéries et virus) et a pu séquencer leur ADN en moins d'une minute !
Théoriquement, cet appareil est capable de décoder un génome humain entier en une demi-journée, ce qui est stupéfiant si l'on se rappelle que le décodage du génome humain achevé en 2001 a pris 10 ans et coûté deux milliards d'euros ! A un tel rythme d'innovations technologiques, on considère à présent qu'il sera possible d'ici 3 à 5 ans, de disposer d'une cartographie complète et fiable de son ADN en moins d'une heure chez son médecin pour quelques centaines d'euros.
Cette révolution technologique en matière de séquençage de l'ADN va avoir des retombées majeures en matière scientifique et médicale, pourquoi ? Parcequ'en disposant, dès la naissance, d'une cartographie compète du génome de chaque individu, la médecine va changer de nature et entrer dans l'ère prédictive. En connaissant les risques et prédispositions génétiques, pour chacun, de développer telle ou telle maladie, les médecins pourront mettre en œuvre des stratégies personnalisées de prévention active extrêmement efficaces car on sait aujourd'hui, grâce à des découvertes récentes, qu'un changement durable dans notre mode de vie peut modifier profondément en retour les mécanismes et modes d'expression de nos gènes.
Il est donc permis d'espérer qu'il sera possible, en combinant l'utilisation de thérapies géniques de plus en plus efficaces, la mise en œuvre, dans certains cas, d'une prévention chimiothérapique et l'adoption de préventions personnalisées axées sur le mode de vie (changements alimentaires et exercice physique), de déjouer les risques inscrits dans notre génome et d'éviter ou de retarder sensiblement l'apparition des pathologies auxquelles nous étions pourtant génétiquement prédisposés.
Mais l'avènement rapide et inéluctable de cette médecine prédictive, si elle est porteuse d'immenses espoirs, pose néanmoins des problèmes éthiques et politiques redoutables. Que dire en effet aux patients adultes chez lesquels le séquençage du génome révélera un fort risque de maladie incurable à relativement court terme ? Comment évaluer avec précision le rapport coût/bénéfice entre une intervention préventive pouvant être lourde pour le patient et coûteuse pour la collectivité et la réalité du risque de développer telle ou telle maladie grave dans un futur lointain ? Enfin, et ce n'est pas le moins important, comment s'assurer que les informations sensibles concernant notre génome seront parfaitement protégées et ne seront jamais diffusées sans notre consentement à des tiers qui pourraient être tentés de les utiliser à des fins commerciales ou utilisées à des fins politiques peu recommandables ?
On voit donc à quel point il est important que nos concitoyens et les responsables politiques se saisissent de ces questions éthiques fondamentales et mettent en œuvre des instances et des procédures de réflexions et de concertations démocratiques qui puissent fixer un cadre juridique, moral et social à ces extraordinaires progrès scientifiques et technologiques qui vont bouleverser à court terme notre société.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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