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Edito : ASCO 2024 : de nouvelles avancées majeures font reculer le cancer

Il est exceptionnel que je traite du même sujet sur 2 éditoriaux successifs mais les avancées essentielles annoncées lors du récent congrès annuel le plus important de la planète sur le cancer m’obligent à vous livrer immédiatement ce texte.

Comme chaque année, cette semaine je vais faire le point sur quelques-unes des avancées les plus remarquables annoncées à l'occasion du grand congrès annuel de l'ASCO, la Société Américaine d'Oncologie Clinique, qui est de loin la plus importante réunion mondiale de cancérologie. Cette année, pas moins de 40 000 spécialistes et chercheurs ont participé à cet événement qui s'est décliné autour de 5 800 communications scientifiques provenant des meilleurs centres de recherche, publics et privés, de la planète (Voir ASCO).

Cette année, l'événement majeur de ce congrès a été la présentation de nouveaux traitements d'une efficacité sans précédent contre certains cancers du poumon difficiles à soigner. Rappelons que le cancer du poumon est devenu au niveau mondial le cancer le plus meurtrier, avec 1,8 million de morts par an (19 % des décès par cancer). Il en va de même en France où ce cancer redoutable touche 45 000 Français chaque année et est responsable de 33 000 décès. Il existe principalement deux formes de cancers pulmonaires en fonction de l’origine des cellules bronchiques dont ils sont issus.

Les cancers bronchiques dits non à petites cellules (CBNPC, 85 % des cas, avec les adénocarcinomes, les carcinomes épidermoïdes et les carcinomes à grandes cellules).

Les cancers bronchiques dits à petites cellules (CBPC, 15 % des cas, sont des formes plus rares mais plus graves, surtout liées au tabac).

Au cours de ces dernières années, la découverte de mutations dans les tumeurs pulmonaires a permis de réaliser une classification moléculaire des cancers bronchiques et de mettre au point de nouvelles thérapies ciblées en fonction du type de tumeur. S'agissant des cancers à petites cellules non opérables mais sans métastases, une étude conduite sur près de 500 patients a montré que l'ajout d'une immunothérapie après les traitements habituels (chimiothérapie et radiothérapie) réduit de 27 % le risque de décès. La survie moyenne passe de 33 mois à 56 mois. L’immunothérapie utilisée est le durvalumab, un anticorps PD-L1 commercialisé sous le nom de Imfinzi par le laboratoire Astrazeneca. Cette percée dans le cancer à petites cellules devrait faire du durvalumab un nouveau standard de traitement.

Une autre étude concerne les CBNPC qui présentent une mutation particulière du récepteur EGF dit de type EGFR, qui représente environ 15 % des patients dans les pays occidentaux et un tiers des patients en Asie. Chez les patients atteints de ce type de cancer avancé non opérable, une thérapie ciblée, l’osimertinib (commercialisé sous le nom de Tagrisso par Astrazeneca) a été testée. Résultat : l'osimertinib a amélioré de manière sensible la durée sans progression de la maladie : 39 mois pour le groupe traité, contre seulement 6 mois pour le groupe-placebo. Ces résultats très encourageants vont également changer les recommandations de prise en charge de ce cancer.

Les anticorps conjugués constituent également une nouvelle approche thérapeutique en plein essor. Il s’agit de chimiothérapies couplées à des anticorps dirigés contre une protéine présente à la surface des tumeurs. Ce traitement ciblé est capable d'acheminer la chimiothérapie au cœur de la tumeur, d'où son efficacité contre plusieurs cancers difficiles à traiter. Un médicament de cette catégorie, un anti-TROP2 a été utilisé contre des CBNPC métastatiques en échec thérapeutique dans le cadre de l’étude ICARUS-Lung01 menée à Gustave Roussy. Ce médicament cible la molécule TROP à la surface des cellules tumorales dans 80 % des cancers du poumon. Résultat : un taux de réponse prometteur de l’ordre de 26 %. Au total, un quart des patients présentaient une diminution des lésions d’au moins 30 %. Une autre étude concerne les CBNPC porteurs d’un autre type de mutation dite ALK présente chez environ 5 % des CBNPC.

Chez ces patients, le lorlatinib (commercialisé sous le nom de Lorviqua par Pfizer) a permis de réduire fortement la progression de la maladie à un stade avancé et d’augmenter le taux de survie des patients par rapport à un autre traitement, le crizotinib. De manière remarquable, 60 % des patients ayant reçu le nouveau médicament étaient toujours en vie sans progression de la maladie à 5 ans, contre 8 % des patients du groupe traité au crizotinib. « Ces résultats à long terme sont hors du commun et cette étude confirme l'efficacité durable exceptionnelle du lorlatinib en tant que choix de première intention pour les patients atteints d'un cancer du poumon non à petites cellules ALK-positif » a souligné le Professeur David R. Spigel, directeur scientifique du Sarah Cannon Research Institute, à l'occasion de la présentation de cette étude à l'ASCO 2024.

La société espagnole PharmaMar, société de biotechnologie spécialisée dans la découverte, le développement et la commercialisation de traitements anticancéreux d’origine marine, a présenté les données d’un essai de phase II lors de ce congrès de l’ASCO 2024. Cette étude a évalué la lurbinectedin de PharmaMar en association avec l’irinotécan chez des patients atteints de cancer du poumon à petites cellules (CPPC) récidivant après un traitement antérieur à base de platine. PharmaMar mène depuis 25 ans des recherches sur l’écosystème marin afin de découvrir de nouvelles voies thérapeutiques innovantes pour traiter les cancers. Les résultats présentés par PharmaMar à l’ASCO montrent que la combinaison de son médicament pour cette pathologie, Zepzelca (lurbinectedin), avec l’irinotécan produit une synergie qui renforce l’activité de la lurbinectedin, entraînant des taux de réponse élevés et durables chez les patients. Ce traitement Zepzelca (lurbinectedin) est un composé synthétique dérivé du tunicier (Ecteinascidiaturbinata) récolté par PharmaMar dans la mer des Caraïbes, le golfe du Mexique et la mer Méditerranée. Le Zepzelca a reçu l’approbation accélérée de la FDA en 2020. Ce nouveau traitement prometteur montre à quel point il est important de mieux préserver la biodiversité marine, riche de nombreux médicaments potentiels contre le cancer.

Des chercheurs de l’University College de Londres ont présenté, au cours de cet ASCO, un médicament d’immunothérapie qui pourrait tripler les chances de survie des malades atteints de cancers colorectaux et leur éviter la chirurgie. Dans le cadre de cette étude, les scientifiques ont recruté 32 patients atteints d'un cancer de l'intestin de stade 2 ou 3 et porteurs d'un profil génétique particulier (déficit en MMR/MSI élevé) qui concerne 15 % des patients souffrant d’un cancer colorectal. Pendant les trois mois précédant la chirurgie, les participants ont reçu du pembrolizumab, un médicament d’immunothérapie déjà utilisé contre plusieurs cancers (connu sous le nom de Keytruda), au lieu du traitement habituel chimiothérapie/chirurgie, puis ont été surveillés pendant 19 mois. Ce traitement permet la destruction des tumeurs volumineuses à haut risque par le système immunitaire et évite ainsi aux patients la nécessité d’une intervention lourde. Ces cancers colorectaux particuliers, en raison de leur grande instabilité génétique, restent particulièrement difficiles à traiter, avec un tiers des cas qui produisent des métastases.

Mais un nouveau médicament pourrait changer la donne : le Jemperli, dont le principe actif est le dostarlimab. Au cours d'un essai clinique de phase 2 réalisé par le Memorial Sloan Kettering Cancer Center, ce médicament a été testé auprès de 42 patients atteints d'un cancer colorectal dMMR. Les résultats sont « sans précédent » selon l'étude présenté à l'ASCO 2024 : 100 % des patients ont répondu au traitement avec « aucun signe de tumeur à l'examen IRM, à l'endoscopie ou au toucher rectal ». Le Jemperli est déjà autorisé en France depuis le mois d'octobre 2023 dans le cadre du traitement du cancer de l'endomètre avancé. Ce médicament devrait devenir le traitement de première ligne contre la maladie et éviter, dans de nombreux cas, le recours à la chimiothérapie, à la radiothérapie et à la chirurgie.

La France a également été à l'honneur au cours de cet ASCO 2024. L’Institut Curie a présenté trois études françaises en cours qui pourraient améliorer considérablement la prise en charge du cancer du sein le plus agressif. La première, CUPCAKE, concerne les biopsies liquides d’ADN tumoral circulant. Cette étude randomisée comprend 450 patientes atteintes de cancer du sein triple négatif à haut risque de rechute. Cet essai vise à évaluer l’efficacité de la détection d’ADN tumoral circulant couplée, en cas de détection d’un signal sanguin de rechute, à une imagerie corps entier TEP/TDM (tomographie par émission de positons – tomodensitométrie) avec un nouveau radiotraceur, le 68Ga-FAPI (marquant les fibroblastes associés au cancer), très prometteur pour les cancers triple négatif. Ce travail vise à proposer rapidement une prise en charge thérapeutique aux patientes, lorsque la rechute est limitée. Les premiers résultats sont attendus en 2027. La seconde étude est ECLECTIC , qui vise à démontrer l’intérêt des cellules tumorales circulantes (CTC) couplées à de l’imagerie TEP/TDM utilisant comme traceur le 18F-fluoro-oestradiol (FES) dans l’orientation des traitements de 2e ligne -chimiothérapie ou hormonothérapie- dans le cancer du sein métastatique hormonodépendant.

L'Institut Curie a déjà montré que le niveau de cellules tumorales circulantes indique l’agressivité du cancer et peut donc aider à choisir entre un traitement doux (hormonothérapie) ou plus intense (chimiothérapie). Le couplage entre ce nouveau traceur et l'imagerie permet une évaluation en temps réel et non invasive de la dépendance aux hormones des lésions tumorales dans l'ensemble du corps ; il peut donc prévoir une résistance à l’hormonothérapie et, dans ce cas, proposer une chimiothérapie. La troisième étude est TOPOLOGY , qui vise à évaluer l’efficacité du PLX-038, un nouveau médicament vectorisé, chez les patientes atteintes de cancer du sein triple négatif qui résiste aux traitements classiques.

Autre avancée majeure concernant le cancer du sein, présentée à l'ASCO 2024, un nouveau test sanguin britannique qui détecte de minuscules quantités d'ADN cancéreux dans le sang. Il serait suffisamment sensible pour prédire le risque de réapparition du cancer plusieurs années avant l'apparition des symptômes habituels. Ce test a été mis au point par l'excellent Institut de Recherche sur le Cancer (ICR) à Londres. Les chercheurs ont analysé le sang de 78 patientes atteintes de différents types de cancer du sein. Le nouveau test a correctement signalé un risque élevé de récidive chez les 11 patientes qui ont rechuté pendant l'essai de cinq ans. Les 60 femmes chez qui le test n'a pas trouvé de molécules cancéreuses n'ont pas rechuté, montrant ainsi que ce test n'induisait pas de faux négatif.

XENOTHERA, une société nantaise qui développe des traitements innovants par anticorps multi-spécifiques polyclonaux glyco-humanisés, a présenté les premières données de son essai clinique dans les cancers solides intitulé FIPO – « First In class Polyclonal in Oncology » – (NCT06154291). FIPO est un essai de phase I/II qui montre l’efficacité du XON7 chez les patients souffrant de tumeurs solides métastasées à un stade avancé. XON7 est un anticancéreux de mécanisme d’action totalement innovant mis au point en moins de 4 ans.

Autre communication française présenté à l'ASCO 2024, celle de chercheurs de Gustave Roussy qui ont montré, chez des patients atteints de cancer du poumon métastatique, que la signature radiomique CD8, identifiée par imagerie couplée à l’intelligence artificielle, serait un facteur prédictif de la sensibilité de la tumeur à l’immunothérapie. Cette signature radiomique CD8 est obtenue grâce à une imagerie par scanner qui permet de cartographier les lésions cancéreuses chez un même patient. Les images obtenues sont analysées par un algorithme d’intelligence artificielle pour mesurer l’infiltration lymphocytaire des lésions. Cette étude, réalisée sur 188 patients atteints d’un cancer du poumon au stade métastatique, ouvre la voie à une bien meilleure prédiction de la réponse à l’immunothérapie, grâce à la signature radiomique CD8, chez les patients souffrant de cancer du poumon métastatique.

Une autre étude française conduite par le Docteur Thierry Facon, Professeur d’hématologie au CHU de Lille, montre que le médicament Sarclisa, en association avec du bortézomib, du lénalidomide et de la dexaméthasone, a permis de réduire le risque de récidive ou de décès de 40 %, comparativement au protocole VRd, dans le cadre d’une utilisation expérimentale chez des patients atteints d’un myélome multiple. Comme le souligne le Docteur Facon, « Le Sarclisa pourrait devenir un élément indispensable du traitement de première ligne et améliorer les résultats à long terme de cette maladie incurable ».

Il faut également évoquer l'étude présentée par la société française Nanobiotix, dont j’avais décelé, dès sa création, le potentiel, qui montre que son produit NBTXR3 (un amplificateur de radiation à base de nanoparticules d'oxyde hafnium, unique au monde) a été bien toléré chez 68 patients fortement prétraités, atteints de tumeurs solides et métastatiques avancées. « Ces nouvelles données confirment que notre produit peut permettre de surmonter la résistance aux anti-PD-1, pour les patients atteints d’un cancer de la tête et du cou récurrent ou métastatique », a déclaré le coordonnateur de l'étude, Ari Rosenberg.

La dernière étude que je voudrais évoquer est celle concernant la vaccination contre les papillomavirus (HPV), comme moyen efficace de prévenir l'infection et les cancers généralement induits par ces virus, notamment le cancer du col de l'utérus et les cancers de la tête et du cou, Une vaste étude réalisée par le Docteur Jefferson DeKloe (Université Thomas Jefferson de Philadelphie), sur 760 540 hommes vaccinés et non vaccinés contre les HPV et 946 000 femmes vaccinées et non vaccinées contre les HPV, montre de manière très solide que les hommes ayant reçu le vaccin anti-HPV présentaient un risque réduit de 56 % de cancer de la tête et du cou. « Nous savons depuis longtemps que le vaccin contre les papillomavirus peut prévenir le développement d'une infection par HPV, mais également l'apparition du cancer du col de l'utérus », a déclaré la Docteure Lynn Schuchter (Abrasion Cancer Center, University of Pennsylvania, Philadelphie), Présidente de l'ASCO.

De manière éclairante, l'étude montre que les hommes vaccinés contre les HPV présentaient un risque inférieur de 54 % pour tous les cancers liés au HPV et un risque inférieur de 56 % pour les cancers de la tête et du cou, par rapport aux hommes non vaccinés. Les femmes vaccinées contre les HPV présentaient un risque inférieur de 27 % pour tous les cancers liés au HPV, un risque inférieur de 54 % pour le cancer du col de l'utérus et un risque inférieur de 33 % pour les cancers de la tête et du cou, par rapport aux femmes non vaccinées contre le HPV. « La vaccination contre le papillomavirus permet de prévenir le cancer », souligne Glenn Hanna, du Dana-Farber Cancer Institute de Boston, dans un communiqué de l'ASCO.

Cet ASCO 2024, par son ampleur et la qualité de ces présentations scientifiques, confirme que l'oncologie est plus que jamais le moteur de l'innovation pharmaceutique. Selon une récente étude du cabinet d'études Iqvia, les dépenses mondiales en cancérologie ont atteint 223 milliards de dollars en 2023, soit 25 milliards de plus en un an. Et Iqvia estime qu'elles devraient encore doubler d'ici 2032. En France, le coût global du cancer est passé de 20 à 28 milliards d'euros au cours des dix dernières années, selon l'Institut du Cancer. Il est important de souligner que dans ce coût, la part des soins est de 11 milliards mais celle des pertes économiques est encore plus importante, et se monte à 17 milliards d'euros...

Au niveau mondial, le coût économique global du cancer a été estimé à 1160 milliards de dollars par an par l'OMS, une somme colossale qui représente environ 1,5 % du Produit Mondial Brut. Le cancer est devenu la seconde cause de décès au monde avec 10 millions de morts en 2022 (pour 20 millions de nouveaux cas) et, selon l'OMS, le nombre de nouveaux cancers devrait bondir de 75 % d'ici 2050, notamment à cause du vieillissement accéléré de la population mondiale, pour atteindre 35 millions de cas à cette échéance. Si nous voulons que le nombre de décès par cancer diminue au niveau mondial, non seulement en pourcentage des nouveaux cas, mais également en valeur absolue (comme aux USA où le nombre de morts par cancer en 2022 a diminué de 32 % depuis 1991 et est redescendu à son niveau de 1932), cela implique que la science soit en mesure de guérir ou de contrôler trois cancers sur quatre d'ici 2050.

Cette dernière édition très prometteuse de l'ASCO nous montre que cet objectif ambitieux est à notre portée et qu'il est à la fois réaliste et éminemment souhaitable pour l'humanité, d'autant plus que les investissements de recherche en matière de cancer permettent aussi, on l'oublie souvent, de réaliser des avancées scientifiques majeures dans un autre domaine connexe capital pour l'avenir de nos sociétés, celui des mécanismes biologiques fondamentaux du vieillissement...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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