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Edito : Les ARN thérapeutiques sont sur le point de révolutionner la médecine
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L’arrivée fin 2020 des premiers vaccins à ARN, de Moderna, Pfizer et BioNTech, contre le Covid-19, a incontestablement marqué l’entrée dans une nouvelle ère scientifique et médicale qui est train de bouleverser l’ensemble du secteur de la santé, en ouvrant chaque jour de nouveaux champs thérapeutiques que l’on aurait eu peine à imaginer il y a seulement cinq ans. Mais déjà ces nouveaux géants de la bio-industrie travaillent sur les prochaines générations de vaccins qui permettront de prévenir encore plus efficacement les nombreuses épidémies et pandémies qui nous menacent.
Il y a quelques jours, Moderna a annoncé qu’elle comptait proposer à l’automne un vaccin de rappel contre la COVID-19 mis à jour qui combinera son vaccin original avec une protection contre le variant Omicron. Ce nouveau vaccin bivalent est conçu pour cibler de manière plus précise Omicron, en intégrant pas moins de 32 des mutations de ce variant. Des études portant sur un schéma vaccinal de deux doses de rappel sont en cours aux États-Unis et en Grande-Bretagne et les résultats seront dévoilés fin juin.
Cette approche semble effectivement permettre une réponse immunitaire à la fois plus forte, plus étendue et plus durable face à l’ensemble des variants. Pour mesurer l'efficacité de ce futur vaccin à induire une réponse immunitaire plus forte, les scientifiques de Moderna ont comparé les taux d'anticorps produits après une vaccination de rappel avec le vaccin classique, et ceux obtenus après le rappel bivalent. Le résultat est sans appel : en combinant les deux variants, ce vaccin permet d'améliorer la réponse immunitaire contre Bêta, mais aussi sur les autres variants. Ces travaux montrent que les patients qui ont reçu une dose de rappel du nouveau vaccin ont développé un niveau d'anticorps contre le variant Omicron plus de deux fois supérieur par rapport à ceux qui ont reçu une dose de rappel du vaccin Moderna existant (Voir Biopharma-reporter).
Mais Moderna ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et travaille en parallèle sur un nouveau vaccin à ARN contre la grippe, dont les premiers résultats se sont avérés positifs pour les essais cliniques de phase 1 menés sur 180 adultes (Voir Biopharma Dive). Le but de Moderna est de proposer à terme un rappel annuel à la fois contre le Covid-19, la grippe et le VRS (virus respiratoire syncytial), en une seule injection, comme le souligne Stéphane Bancel, le Président de l’entreprise.
D’autres nouveaux acteurs très innovants se sont multipliés et ne cessent de surprendre la communauté scientifique internationale en exploitant les multiples potentialités de l’ARN en matière vaccinale. C’est notamment le cas d’Arcturus Therapeutics, basée à San Diego (Californie). Cette société fondée en 2013 vient de publier les données d'un essai évaluant son candidat vaccin à "ARNm auto-amplificateur" contre le Covid-19. Ce vaste essai clinique a été réalisé sur plus de 17 000 volontaires, en double aveugle contre placebo. Il a montré une efficacité globale remarquable de 95 % pour la prévention des formes graves de Covid-19. L’efficacité pour prévenir les formes symptomatiques mais légères de Covid-19 s’élève pour sa part à 55 % (Voir Fierce Biotech). L’un des nombreux avantages de ce nouveau type de vaccin à ARN est qu’il permet d’utiliser des doses bien plus faibles d’ARN ; son coût de production est donc moins élevé et sa tolérance excellente.
Drew Weissman, de l'Université de Pennsylvanie, un des pionniers dans la technologie de l'ARN messager, est pour sa part persuadé qu’il est possible de développer d’ici trois ans un vaccin universel qui protégerait contre tous les variants du coronavirus, Son équipe a identifié des séquences d'épitope (déterminant antigénique) qui sont incapables de muter et pourraient donc constituer de bonne cibles pour un tel vaccin. Une autre équipe de recherche, dirigée par Pamela Bjorkman, de l'Institut de technologie de Californie, travaille aussi sur un projet vaccin universel contre le Covid-19 qui utilise des nanoparticules en mosaïque pour cibler la lignée B des bétacoronavirus, parmi lesquels on trouve le SARS-CoV original et le SARS-CoV-2, à l'origine du Covid-19 (Voir Nature Reviews).
En décembre dernier, l'Institut national des allergies et maladies infectieuses (NIAD) américain, en collaboration avec des chercheurs de Moderna (Voir Nature medicine), a publié une étude très remarquée qui fait état de « résultats très encourageants, bien que perfectibles à ce stade chez le singe », pour un nouveau vaccin à ARN contre le VIH. Ces recherches ont montré qu’au bout de treize mois, tous les macaques avaient développé des niveaux d'anticorps détectables. L’étude montre également que les macaques non vaccinés ont développé la maladie après environ trois semaines, alors que ceux immunisés ont en moyenne mis huit semaines. « Ce niveau de réduction de risque pourrait avoir un impact significatif sur la transmission virale », souligne l'étude. Le vaccin à ARN délivre des instructions génétiques à l'organisme, provoquant la création de deux protéines caractéristiques du virus. Celles-ci sont ensuite assemblées pour former des particules pseudovirales (VLP en anglais), imitant une infection afin de susciter une réponse du système immunitaire. Bien que, pour l’instant, les niveaux d'anticorps provoqués restent encore trop faibles pour passer aux essais cliniques sur l’homme, ces premiers résultats d’un vaccin à ARN contre le SIDA confirment déjà le grand potentiel de cette technique pour parvenir à mettre enfin au point un vaccin contre ce virus qui défie la recherche depuis plus de quarante ans…
Mais l’ARN est déjà en train de déborder le champ, pourtant vaste, des vaccins, pour devenir un nouvel outil majeur en cancérologie. Une équipe de chercheurs de l’Oregon State University (États-Unis) vient de montrer qu’il est envisageable de concevoir un vaccin thérapeutique à l’ARN qui pourrait entraîner notre organisme à générer des protéines antioxydantes supplémentaires dans des situations particulières, quand la peau est menacée. Ces protéines clés sont appelées Thioredoxin Reductase 1, ou TR1, et leur production, au sein des cellules cutanées, pourrait renforcer la protection de notre ADN contre la lumière UV du Soleil (Voir Science Direct). Ces recherches montrent qu’un tel vaccin pourrait prévenir l’apparition de nombreux cancers de la peau (plus de trois millions par an, selon l’OMS) provoqués par l’exposition au soleil.
Des chercheurs de l’Université de Tel-Aviv sous la direction du Professeur Dan Peer, chef du laboratoire de nanomédecine, ont réussi à développer un nanomédicament à base d’ARN qui fait coup double : il permet de surmonter la résistance à la chimiothérapie, mais également de stimuler le système immunitaire (Voir Peer Lab). La chimio-immunothérapie, qui associe chimiothérapie et immunothérapie, est actuellement considérée comme le traitement le plus avancé pour divers types de cancer. Toutefois, de nombreux patients ne répondent pas à la chimio-immunothérapie, faute de traitements suffisamment ciblés. Pour surmonter ce défi, ces chercheurs israéliens ont mis point pour la première fois au monde un système de délivrance de médicaments qui utilise des nanoparticules lipidiques conçues pour libérer leur charge à la fois sur les cellules cancéreuses pour la chimiothérapie et sur les cellules immunitaires pour l'immunothérapie.
Comme le souligne le Professeur Peer, « Cette nanoparticule est capable d'opérer sur deux plans à la fois. Elle augmente la sensibilité des cellules cancéreuses résistantes à la chimiothérapie, tout en revigorant les cellules immunitaires et en augmentant leur sensibilité aux cellules cancéreuses. Ainsi, avec une seule nanoparticule, nous fournissons en fait deux traitements distincts, sur deux cibles très différentes, sans endommager les cellules environnantes. Notre thérapie a déjà donné de bons résultats contre le mélanome métastatique sur les souris ». Cette thérapie prometteuse s'appuie sur une autre découverte récente qui a montré que les cellules cancéreuses utilisent une enzyme appelée HO1, à la fois pour résister à la chimiothérapie et pour se cacher du système immunitaire. Ce traitement à ARN vise donc à bloquer l’expression de l’enzyme HO1 dans la tumeur. « Il s'agit du premier exemple d'un médicament basé sur une nanoparticule à base d'ARN effectuant à lui seul deux tâches très différentes », ajoute le Professeur Peer.
Récemment, la société BioNTech a présenté des résultats prometteurs quant à l’ajout d’un vaccin à ARNm à la thérapie cellulaire CAR-T pour lutter contre certains cancers. La thérapie cellulaire CAR-T consiste à prélever au patient des globules blancs spécialisés dans la reconnaissance et la destruction de cellules pathogènes, puis à modifier leur patrimoine génétique pour les rendre plus agressifs contre les cellules malignes et finalement à les réinjecter au patient, pour qu’ils détruisent les cellules cancéreuses (Voir Fierce Biotech). Cette reprogrammation génétique permet aux lymphocytes T d’exprimer une molécule appelée "récepteur antigénique chimérique" ou Chimeric Antigen Receptor (CAR) qui les rend particulièrement efficaces dans l’identification et l’élimination des cellules cancéreuses. La thérapie CAR‑T réside donc dans l’utilisation des lymphocytes T, « armés » d’une molécule CAR spécifiquement dirigée contre le cancer à combattre.
Malheureusement, ces thérapies CAR-T ne fonctionnent pas très bien contre les tumeurs solides : l’absence d’antigènes membranaires spécifiques sur ce type de tumeurs permet aux CAR-T d’attaquer des tissus sains, ce qui entraîne de graves effets indésirables pour le patient. Mais en associant un ARNm aux CAR-T, il devient possible de surmonter cet obstacle et d’utiliser les cellules CAR-T de manière bien plus ciblée, pour stimuler le système immunitaire du patient et détruire plus efficacement les cellules malades.
En France, il y a quelques semaines, la Ligue contre le Cancer a annoncé qu’elle soutenait le projet de recherche du Professeur Olivier Adotevi (Inserm UMR1098, Université de Franche Comté) qui vise à mettre au point un vaccin thérapeutique contre le cancer colorectal en ciblant des antigènes de rétrovirus endogènes au moyen d'ARN messagers véhiculés par nanoparticules et protégés de la dégradation.
Depuis un an, BioNTech, en association avec Sanofi, expérimente également l'ARN messager pour produire des instructions qui vont permettre de coder des cytokines, de petites molécules qui aident à éliminer les tumeurs. Sur vingt souris atteintes de cancer (mélanomes et tumeurs pulmonaires), les chercheurs ont injecté directement dans les tumeurs ce traitement à base d’ARN messager. Ce traitement a permis, en un mois et demi, d’éradiquer les tumeurs chez 17 souris. Fort de ce succès, un essai clinique de phase 1 avec 230 participants est actuellement en cours. BioNTech a également traité pour la première fois un patient atteint d’un cancer colorectal avec son vaccin contre le cancer à ARN messager individualisé BNT 122 dans le cadre d’une étude de phase 2 récemment lancée aux États-Unis, en Allemagne et en Espagne.
Enfin, il y a quelques semaines, une étude menée par des chercheurs du Massachusetts General Hospital (MGH), a montré qu’il était possible d’agir directement sur les ARN, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans le développement de médicaments (Voir Massachusetts General Hospital). L’étude rappelle que presque tous les médicaments actuellement disponibles ciblent l’une des quelque 700 protéines liées à la maladie parmi les 20 000 protéines humaines identifiées par le projet du génome humain. On sait que l’ADN (acide désoxyribonucléique) est le support du code génétique pour la formation des protéines, via les "ARN codant ". Toutefois, la grande majorité de l’ARN du génome humain – 98% – est "non codant".
« Ces ARN non codants jouent des rôles très importants dans le génome, et nous comprenons maintenant que des mutations dans cet espace non codant peuvent entraîner des maladies », explique l’auteur principal de l’étude, le Docteur Jeannie Lee. « Si nous pouvions cibler ces ARN, nous augmenterions considérablement l’univers dans lequel nous pouvons trouver des médicaments pour traiter les patients », poursuit la chercheuse, qui étudie plus particulièrement un processus biologique appelé inactivation du chromosome X (XCI), qui désactive une copie du chromosome X chez les mammifères femelles et est nécessaire au développement normal.
Ces recherches ont pu montrer qu’il existe une forme d’ARN non codant appelée Xist, qui désactive les gènes sur le chromosome X. Les chercheurs se sont alors demandé comment interférer avec ce processus pour réactiver un chromosome X dormant, ce qui permettrait de corriger certains troubles génétiques causés par des mutations sur le chromosome X, comme le syndrome de Rett et le syndrome de l’X fragile. En passant au crible plus de 50 000 molécules, les chercheurs en ont identifiées quelques-unes qui se lient à une région appelée Repeat A (RepA) sur Xist. L’une de ces molécules, baptisé X1 possède la remarquable propriété d’empêcher plusieurs protéines clés de se lier à RepA, ce qui est nécessaire pour que Xist inactive le chromosome X. « En utilisant judicieusement X1, l’inactivation de X ne peut pas avoir lieu », explique le Docteur Lee. Cette nouvelle approche pourrait être utilisée pour identifier d’autres médicaments ciblant l’ARN, ce qui ouvre d’immenses perspectives pour le développement de nouveaux médicaments, selon ces chercheurs, qui soulignent « qu’à l’avenir, nous pourrions avoir des centaines de milliers d’ARN à cibler pour traiter de multiples maladies. »
Toutes ces découvertes et avancées récentes montrent à quel point l’ARN, sous ses différentes formes (ARNi et ARNm), est en train de devenir un véritable et irremplaçable « couteau suisse » en médecine, porteur de possibilités thérapeutiques presque infinies. Dans un tel contexte, on ne peut que se réjouir de l’effort particulier en faveur de l’outil ARN, prévu par le plan "Innovation santé 2030", qui prévoit 7 milliards d’euros supplémentaires pour la recherche biologique et médicale d’ici 2030. On doit également se féliciter que les grands groupes privés aient également décidé d’accentuer sensiblement leurs investissements de recherche dans ce domaine tout à fait stratégique. C’est par exemple le cas du laboratoire français Sanofi qui va investir 1,5 milliard d'euros en France pour développer cette technologie novatrice de l'ARN messager, ainsi que l’a annoncé il y a quelques semaines le Premier ministre Jean Castex depuis le site du groupe à Neuville-sur-Saône, dans le Rhône. Souhaitons que le prochain gouvernement, qui se mettra prochainement en place, ait la volonté politique de poursuivre cet effort au long cours en faveur de cet outil thérapeutique nouveau, qui dévoile chaque jour un peu plus son incroyable puissance et sera, dans moins de dix ans, au cœur de tous les nouveaux traitements contre les grandes maladies et épidémies qui nous menacent…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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