Edito : ARN interférents : la prochaine révolution médicale ?
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L'interférence par ARN est un phénomène naturel découvert en 1998 par Fire et Mello (Prix Nobel de Médecine 2006) par lequel la présence d'un ARN double brin d'un gène entraîne la dégradation spécifique, rapide et efficace de l'ARN messager correspondant. Fire et Mello ont montré que l'on pouvait réduire spécifiquement l'expression de protéines contenues dans des cellules d'un nématode (petit ver), en introduisant de l'ARN double brin dans celles-ci. Toutefois, le mécanisme d'action du RNAi et sa fonction biologique sont encore loin d'être complètement élucidés.
On pense que le RNAi représente un système de protection du génome contre les acides nucléiques indésirables, ou un mécanisme sophistiqué impliqué dans le contrôle de l'expression des gènes. Les chercheurs du monde entier utilisent cette technique pour inhiber spécifiquement l'expression d'un gène associé à une pathologie.
À côté des ARN double brin les chercheurs ont également découvert d'autres petits ARN appelés micro ARN (siRNA) qui sont fabriqués par la cellule elle-même à partir de son propre génome. On évalue leur nombre dans le génome humain à plusieurs centaines et leur fonction reste pour la plupart à élucider. Grâce à des travaux réalisés sur la levure et les plantes, on a récemment découvert un rôle très important de ces micro ARN : ils peuvent inhiber l'expression des gènes d'une manière durable en agissant sur la configuration de l'ADN dans le noyau mais sans modifier le code génétique.
C'est ainsi qu'un traitement particulièrement innovant des maladies animales vient d'être mis au point par les chercheurs vétérinaires du Cirad. Ce vaccin thérapeutique utilise les ARN interférents contre les morbillivirus du sujet infecté. Ceux-ci viennent bloquer le processus de développement viral dans la cellule malade. Le Cirad a mis au point et breveté des ARN interférents contre les morbillivirus responsables de la rougeole, de la peste bovine et de la peste des petits ruminants. Depuis, les travaux de recherche se poursuivent afin de cibler l'action de ces antiviraux biologiques chez l'animal.
Comme l'explique Emmanuel Albina « un fragment d'ARN interférent qui n'est actif que sur le virus ou la famille de virus ciblé, à la différence d'une molécule chimique, vient bloquer le processus de développement viral dans la cellule infectée ». Il ajoute « cette stratégie change complètement les concepts de lutte contre la maladie. Le choix ne se limite désormais plus à l'éradication de la population animale malade ou à la vaccination massive préventive. Un troisième outil, le vaccin thérapeutique, pourra être utilisé sur l'animal infecté. »
Mais l'homme pourrait aussi bénéficier d'ici quelques années de ces nouvelles thérapies à base d'ARN interférents. La rougeole, maladie humaine qui sévit parmi la population jeune des pays du Sud, appartient en effet à la même famille virale que la peste des petits ruminants ou la peste bovine.
Fin juillet 2002, les travaux des équipes du professeur Leonid Gitlin, de l'université de Californie, et du professeur Jean-Marc Jacques, de l'Université du Massachusetts, publiés dans la revue Nature, ont ouvert de nouvelles perspectives à la technique de l'interférence de l'ARN : pour la première fois, ce mécanisme s'est montré efficace sur des cellules humaines. Il a permis de bloquer in vitro leur infection par les virus du sida et de la poliomyélite. Ces résultats suggèrent donc que les ARN interférents pourraient être utilisés pour contrer des infections virales chez l'homme.
En 2003, des chercheurs américains de l'Ecole de Médecine de l'Université de Stanford ont démontré pour la première fois chez l'animal la possibilité d'utiliser des ARN interférents pour inhiber la réplication du virus de l'hépatite B, qui peut être réduite de 90 à 99 %.
En 2005, une équipe américaine a montré que des ARN interférents (ARNi) peuvent éviter le développement du SRAS mais aussi guérir une infection établie chez des macaques. Ces auteurs expliquent avoir sélectionné in vitro des ARN interférents capables d'inhiber le coronavirus responsable du SRAS. Ces ARN ont ensuite été administrés par voie nasale à des macaques exposés au virus du SRAS. D'après les résultats, cette approche à permis de réduire la sévérité des symptômes et la charge virale, ainsi que les lésions pulmonaires.
Il y a quelques mois, la firme Acuity Pharmaceuticals a entrepris des essais cliniques sur le développement d'un médicament contre la dégénérescence maculaire, fondé sur la technique des ARN interférents (RNAi), appelé Bevasiranib. Les résultats de la première phase d'essais cliniques, révélés en juin 2006, lors du meeting de "l'American Society of Gene Therapy", sont prometteurs. Il s'avère que le médicament a permis de réduire la croissance des vaisseaux sanguins sur la rétine et que la vue a même été légèrement améliorée.
Toujours aux Etats-Unis, John Rossi, de l'Institut de recherche Beckman (Duarte, Californie), est sur le point d'obtenir de l'agence du médicament américaine, la FDA (Food and Drug Administration), l'autorisation de lancer un essai sur des patients atteints du virus du sida. « Grâce à une combinaison de plusieurs ARNi, nous avons pu inhiber la réplication du virus du sida dans des cellules humaines. Le protocole thérapeutique pourrait consister à prélever des lymphocytes T infectés, y introduire des vecteurs contenant des ARNi anti-VIH, les faire se multiplier et les réinjecter dans le patient. Et cela une à deux fois par an. »
Les ARNi sont donc en train de bouleverser la médecine en ouvrant des voies thérapeutiques absolument nouvelles et d'une efficacité inédite. La plupart des maladies impliquent en effet des gènes qui se trouvent surexprimés ou exprimés à de mauvais endroits dans l'organisme. Si les chercheurs parviennent à maîtriser ce pouvoir "d'éteindre" à volonté les gènes grâce aux ARNi, nous disposerons alors d'une forme de thérapie génique d'une efficacité presque sans limites, notamment contre les maladies virales et cancéreuses.
Au CNRS, Florence Cabon vient de lancer sur le chien un essai de thérapie à base de micro ARN (baptisés siRNA) contre le cancer de la prostate. Elle est persuadée que cette technique est si puissante et si spécifique qu'elle permettrait de se débarrasser également des métastases. " Si cela fonctionne sur la tumeur principale, cela sera aussi le cas pour les métastases car les ARNi cibleront les cellules tumorales là où elles se trouvent, en circulant dans la voie générale" souligne la chercheuse.
Il est frappant de constater que c'est à partir d'observations fortuites sur des pétunias qu'a été révélé l'un des mécanismes fondamentaux du vivant dont la connaissance de plus en plus fine va déboucher sur une extraordinaire révolution scientifique et médicale dont nous vivons déjà les prémices. Cela montre bien le caractère imprévisible des grandes découvertes et confirme la nécessité de développer des concepts audacieux et des axes de recherche transversaux pour faire avancer la science et la connaissance de la vie.
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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