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Edito : Les armes à faisceau d’énergie dirigée vont changer la nature de la guerre…
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Il y a huit ans, en 2014, la marine américaine testait pour la première fois, dans le Golfe persique, une nouvelle arme qui semblait tout droit sortie d’un film de science-fiction : un canon laser, dénommé Laser Weapon System (LaWS). Cette arme d’une puissance encore modeste (30 KW à l’époque) s’était déjà montrée capable de détruire un petit drone en plein vol, ainsi que la charge explosive d’une roquette placée sur une barge flottante. Depuis, les progrès de ces armes dites "à énergie dirigée" (AED) ont été impressionnants, même si les états-majors restent évidemment très discrets sur leurs capacités réelles (Voir Breaking Defense).
En 2014, ce premier canon laser de faible puissance, ou "Laser Weapon System" (Système d’Arme Laser), avait été développé par Kratos Defense & Security Solutions, et avait été testé avec succès par l’Office de la Recherche Navale Américaine sur l’USS Ponce, un ancien navire d’assaut amphibie reconverti en base flottante. Depuis, cette arme n’a cessé d’être améliorée, tant en puissance qu’en précision et en portabilité. Elle a fait l’objet de nouveaux tests qui ont confirmé sa redoutable efficacité, dont l’un en 2020, contre un drone, et l’autre l’année suivante, contre une "cible d’entraînement de surface statique". Les Etats-Unis travaillent simultanément sur plusieurs projets d’armes à énergie. Ils seraient assez avancés sur un système de défense laser (LLD) de moyenne puissance (150 à 300 kW), destiné aux navires de combat littoral. Il a récemment été testé avec succès au Nouveau Mexique, contre un drone-cible. Il y a deux ans, Lockheed-Martin, en pointe dans ce domaine, a décroché un contrat de 22 millions d’euros pour l’installation d’une arme laser sur le navire USS Little Rock. La même firme travaille également sur le système HELIOS (Laser à Haute Energie Intégrant la surveillance Optique), beaucoup plus performant, qui équipera, à terme, les destroyers américains. Un premier exemplaire a déjà été livré en août dernier à l’US Navy, et sa mise en service sera effective dans quelques semaines…
Ce système d’arme intégré va devenir une composante tactique essentielle de la Marine américaine, avec une puissance allant de 60 à 120 kW. Le premier canon laser HELIOS, qui sera installé à bord du destroyer USS Preble, présente trois avantages décisifs : il est d’une précision quasi-absolue, son coût d’utilisation est dérisoire (par rapport aux armes de défense conventionnelles à munitions) et il permet de s’affranchir du stockage d’explosifs à bord, ce qui est un sérieux plus en matière de sécurité. En dépit d’un retard certain par rapport à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne, très investis dans le développement de ce nouveau type d’arme, notre Marine nationale a enfin fait de la transition vers les armes à énergie pour sa défense rapprochée, une priorité, comme l’illustre l’arrivée du système Helma-P, mis au point par CILAS.
Il y a quelques semaines, Lockheed Martin a révélé qu’il était en mesure de fournir à l’armée américaine un nouveau canon laser d’une puissance de 300 kilowatts, dans le cadre du programme "HELSI", ou "Initiative de rehaussement des lasers à haute énergie". L’armée américaine compte tester cet appareil dans les prochains mois avant de l’intégrer comme système offensif sur des véhicules blindés ou des navires. L’entreprise américaine souligne que la compacité de son nouveau canon laser facilite son utilisation et limite les risques de problèmes techniques, surtout dans des environnements extrêmes. Munis de cette nouvelle arme laser, les soldats américains pourront se défendre contre des menaces telles que des roquettes, des obus, des missiles de croisière, des drones et même des petits navires… (Voir Lockheed Martin).
Ces nouvelles armes à énergie dirigée se définissent comme un « système capable de transmettre dans une direction voulue une énergie sans intermédiaire macroscopique et conçu pour générer sur une cible des effets susceptibles de perturber son fonctionnement ou de la neutraliser ». Cette large définition ne se limite donc pas aux seules armes laser et intègre également des armes utilisant des micro-ondes ou encore des armes plus futuristes, utilisant de puissantes impulsions électromagnétiques (IEM), pour propulser à des vitesses impossibles à atteindre par d’autres moyens, et avec une grande précision, des projectiles à plusieurs dizaines, voire, à plus long terme, à plusieurs centaines de km, ce qui rendrait définitivement obsolète le vieux concept de "sanctuaire" inatteignable…
Les armes à micro-ondes utilisent une puissante émission électromagnétique qui va permettre de griller tous les circuits électroniques environnants, à moins qu’ils ne soient particulièrement bien protégés et "durcis", ce qui complique évidement le travail de l’adversaire. Par sa nature de fonctionnement diffus, ce type d’arme serait particulièrement efficace pour détruire, par exemple, d’un coup, tout un nuage de drones d’attaques, tout en restant totalement indétectable par l’ennemi…
Il faut aussi évoquer les recherches très actives dans un autre domaine stratégique, celui des canons électromagnétiques. Une telle arme représente une véritable rupture technologique mais également économique. Elle évite le stockage d’explosifs mais nécessite de mobiliser, en un très court laps de temps, une énorme quantité d’énergie pour produire une impulsion cinétique suffisamment puissante. Cette nouvelle arme entraîne, en outre, des contraintes physiques et thermiques extrêmes sur les matériaux utilisés, ce qui suppose la mise au point de composites totalement nouveaux. Toutefois, les avantages potentiels, tant sur le plan tactique que stratégique, de ce canon électromagnétique, sont tels que l’Europe, la Chine, la Russie, les USA et le Japon redoublent d’efforts pour acquérir les premiers la maîtrise de cette "arme fatale".
La Chine expérimente depuis au moins quatre ans ce type d’arme qui a été repéré par photos satellites sur un de ses navires d’assaut amphibie. Les Etats-Unis travaillent également depuis une vingtaine d’années sur leur fameux "Railgun", un canon électromagnétique capable d’envoyer des projectiles à une distance de 160 km et à une vitesse qui pourrait dépasser les 8000 km/h (sept fois la vitesse du son), ce qui permettrait à ces armes d’intercepter et détruire les nouveaux missiles hypervéloces. En Europe, l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis travaille également à la mise au point de ce type d’arme révolutionnaire, dans le cadre des projets PEGASUS et RAFIRA. Le premier est un lanceur électromagnétique qui doit permettre d’atteindre des vitesses d’accélération autorisant de très longues portées (plus de 100 km). Le second consiste à fabriquer un canon de type "Railgun" de 25 mm, capable de fonctionner à des cadences de tirs très élevées, avec des accélérations de plus de 100.000 G. Ces projets s’inscrivent dans le cadre du Programme de recherches Action préparatoire sur la recherche en matière de défense (PADR) de l’Union européenne, qui regroupe les français Nexter et Naval Group et vise à démontrer la faisabilité technique de propulser des projectiles à huit ou dix fois la vitesse du son, à plusieurs centaines de kilomètres.
L’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis aurait déjà testé un premier prototype de canon électromagnétique, pouvant lancer, à partir d’une plate-forme navale (compte tenu du volume conséquent de l’équipement), des projectiles avec une accélération pharamineuse de 100 000 G. Par contre, la déclinaison à courte portée (moins de 50 km) de cette arme pourrait être intégrée sur un véhicule terrestre, bien plus mobile et difficile à localiser.
Si les recherches sur le canon électromagnétique sont si actives, c’est parce que l’arrivée d’une nouvelle génération de missiles hypersoniques, il y a une dizaine d’années, a bouleversé la donne stratégique mondiale. Ces engins, qui volent à plus de cinq fois la vitesse du son et peuvent modifier brusquement leur trajectoire, sont quasiment impossibles à intercepter avec les armes actuelles, y compris avec les missiles antibalistiques les plus perfectionnés et les plus coûteux. C’est pourquoi l’Europe, les USA, la Chine et le Japon redoublent d’efforts pour mettre au point de nouvelles armes à propulsion électromagnétique, sorte de mitrailleuses géantes ultrarapides, capables de détruire en vol ces missiles hypervéloces, avant qu’ils n’aient pu atteindre leurs cibles. Le Japon, de plus en plus inquiet face à l’impérialisme chinois et la menace nord-coréenne, serait en avance dans cette course technologique et travaillerait sur un "railgun" opérationnel en 2025, capable d'envoyer ses munitions à différentes vitesses, en modulant la puissance énergétique, pour l’adapter en temps réel à la vitesse du missile à intercepter. Le prototype japonais de canon électromagnétique aurait atteint la vitesse incroyable de 2,5 km/seconde (le double de la vitesse des projectiles tirés par les fusils les plus rapides), une vélocité qui offre l’avantage décisif de pouvoir augmenter la portée sans perdre de la puissance lors de l'impact.
Pour détruire un missile supersonique, les ogives doivent être constituées d’un matériau à la fois incroyablement solide et à haute conduction électrique. En outre, cette arme doit fonctionner en rafale, pour être vraiment efficace contre un missile hypersonique, ce qui suppose des ruptures technologiques également en matière de guidage, de systèmes de refroidissement du canon et de source d’énergie. Mais à la clé, il y a le rétablissement d’un équilibre stratégique et l’avènement d’un nouveau concept de dissuasion, si l’ennemi potentiel est persuadé qu’il n’a aucune chance de faire passer ses missiles hypervéloces entre les rafales de ces nouvelles armes.
Reste que ces systèmes d’armes à énergie sortent enfin de laboratoire et arrivent aujourd’hui à un niveau de performance opérationnelle suffisant pour être pleinement intégrés à la panoplie d’armes tactiques des armées modernes, en attendant de rejoindre les armes stratégiques. Pour l’instant, leur puissance encore relativement limitée oriente ces armes plutôt vers la destruction des engins explosifs improvisés (IED), transportés par drones, bateaux ou kamikazes. C’est notamment le cas du système américain HLONS Zeus, qui a été utilisé en Afghanistan, et du système laser anti-missiles Avenger. Il semble cependant raisonnable d’imaginer que, d’ici la fin de la décennie, la puissance des canons laser ou électromagnétiques sera suffisante pour détruire des avions en vol, des blindés ou des installations militaires bien protégées.
En juillet 2021, l’armée française a réussi sa première destruction en vol d’un mini drone au moyen d’un laser depuis un site d’essais de la Direction générale de l’armement (DGA), situé à Biscarosse, dans les Landes. Ce succès a fait entrer notre pays dans le club très fermé des quelques pays qui maîtrisent cette technologie délicate des AED. Le prototype testé permet de neutraliser jusqu’à un km toute la panoplie des drones allant de quelques grammes à 100 kg. Fort de ce succès, la France a lancé il y a quelques mois son programme Parade (Protection déployable modulaire anti-drones) qui prévoit des investissements d’environ 350 millions d’euros sur la prochaine décennie. Concrètement, l’armée française devrait disposer dès 2024, année des Jeux Olympiques de Paris, d’un canon laser capable de repérer et de détruire des drones de moins de 25 kg. Ces armes à énergie, baptisées "Helma-P" seront fabriquées par la société Cilas ; elles seront probablement déclinées en plusieurs versions, de manière à pouvoir être embarquées sur un navire ou un véhicule, et associées à des systèmes de détection radar ou optique. A terme, Cilas prévoit d'augmenter la puissance et la portabilité de ces armes AED qui pourraient devenir utilisables par un fantassin isolé et lui permettre de détruire avec une redoutable efficacité une large variété de projectiles, obus, missiles ou roquettes.
La Chine, qui souhaite se doter, elle aussi, d’une panoplie complète d’armes à énergie dirigée, a mis au point en 2018 un fusil laser portatif, présenté officiellement comme "non létal", mais capable de provoquer, selon ses concepteurs, une "carbonisation instantanée" de la peau et des tissus humains. Cette arme, dont on sait peu de choses, aurait un poids comparable à celui d’un AK-47 (3 kg) et produirait un faisceau d’énergie invisible à l’œil nu capable de frapper sa cible à un km. Ce fusil laser serait utilisable par des militaires ou des forces anti-terroristes et pourrait également se décliner sous forme de canons montés sur des véhicules terrestres (Voir South China Morning Post).
On le voit, dans moins d’une dizaine d’années, toutes les armées modernes devraient disposer de ces nouvelles armes à énergie dirigée, dans des formats allant du fusil portatif au canon imposant, en passant par la mitrailleuse embarquée sur un véhicule léger. Ces AED vont profondément bouleverser le concept de dissuasion et l’équilibre stratégique au niveau mondial, en découplant de manière inédite et radicale la puissance de feu et le nombre de combattants. Dotés de telles armes, un groupe d’intervention de seulement quelques centaines d’hommes, équipés d’exosquelettes et assistés par des robots de combat, disposera d’une puissance de feu d’une grande capacité d’intervention et d’une portée de tirs terrifiante et pourra, à lui seul, arrêter ou détruire une armée conventionnelle beaucoup plus nombreuse, ou s’emparer d’un vaste territoire très rapidement. Ces nouvelles armes, dont le potentiel est immense, vont donc changer la nature même de la guerre et le concept d’intervention militaire.
Dans ce nouveau contexte militaire, sécuritaire et géostratégique, il est très important que notre pays rattrape son retard dans ce domaine des armes à énergie dirigée et que l’Europe lance, sans tarder, un ambitieux plan visant à la fois à se doter d’un système défensif puissant, reposant sur ces armes énergétiques (et capables de repérer et de détruire toute la gamme des menaces potentielles nouvelles, du petit drone au missile hypervéloce) et à équiper ses troupes d’intervention sur les théâtres extérieurs de ces armes redoutables, de manière à pouvoir, le cas échéant, frapper vite et fort un ennemi lointain et disséminé dans un territoire étendu.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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