Edito : Allons-nous entrer dans l'ère de l'anthropocène ?
- Tweeter
-
-
1 avis :
L'information est à présent confirmée : 2011 a bien été l'année la plus chaude depuis 1900 en France avec une température moyenne de 13,6°C (+ 1,5°C par rapport à 2010). Au niveau mondial, une étude publiée en décembre dernier dans la revue scientifique de référence "Environmental Research Letters", montre que le réchauffement climatique mondial se poursuit inexorablement depuis 30 ans.
Cette étude dirigée par Stefan Rahmstorf et Grant Foster a analysé l’évolution du réchauffement climatique de 1979 à 2010 en distinguant les facteurs naturels et l'impact des activités humaines. Pour évaluer rigoureusement le poids des phénomènes naturels sur le climat, ces scientifiques reconnus ont reconstruit les courbes de températures grâce aux données obtenues conjointement par satellites et par le réseau mondial de stations météorologiques. Ils ont ainsi pu démontrer que l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines a entraîné une hausse des températures mondiales comprise entre 0,14 et 0,18 degré celsius par décennie depuis 30 ans.
Cette étude remarquable qui intègre l'activité solaire et le phénomène "Nina" montre que 2011 est bien l'année la plus chaude jamais enregistrée sur terre. L'étude n'est guère optimiste et prévoit que, sans une rupture par rapport aux objectifs internationaux (qui représentent à peine plus de la moitié de l'effort minimum à effectuer pour limiter le réchauffement climatique à 2-3° d'ici 2050), l'accélération du réchauffement planétaire va se poursuivre au cours de ces prochaines années avec son cortège de conséquences désastreuses et d'épisodes extrêmes que nous pouvons déjà constater.
Il n'y a pourtant aucune fatalité dans cet enjeu majeur du climat et l'homme peut encore, sans mettre en œuvre des efforts démesurés sur le plan économique, technologique et financier, éviter le pire. C'est ce que montrent plusieurs études distinctes mais parfaitement convergentes. La première, de grande ampleur, vient d'être publiée dans "Science" (Simultaneously Mitigating Near-Term Climate Change and Improving Human Health and Food Security et What can be done to slow Climate Change ?).
Cette étude rappelle que depuis un siècle, la température moyenne à la surface de Terre a connu une hausse de 0,8 degré, dont plus des deux tiers au cours des trente dernières années. L'étude souligne également que les quantités considérables de CO2 émises par l'homme (elles ont été multipliées par dix depuis 70 ans) s'accumulent dans l'atmosphère pendant plusieurs centaines d’années, contribuant puissamment à accroître l'effet de serre et le réchauffement climatique.
De manière très pragmatique, l'étude a modélisé les effets de la mise en œuvre de plus de quatre cents mesures destinées à l'ensemble des émissions polluantes. Au final, les chercheurs ont sélectionné 14 mesures considérées comme les plus efficaces à court terme : toutes ces mesures visent à réduire fortement les émissions humaines ou animales de méthane (CH4), un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2 et les émissions de suies qui sont des particules résultant de combustions incomplètes en suspension dans l'atmosphère.
Concrètement, l'étude préconise la généralisation des dispositifs de capture du méthane dans les mines de charbon et les raffineries de pétrole et l'amélioration des réseaux de transport de gaz naturel. Un effort important est par ailleurs envisagé en matière d'agriculture et d'élevage : l'étude propose de revoir complètement la gestion des effluents du bétail, de mettre en place le drainage systématique des rizières, de généraliser les filtres à particules de nouvelle génération sur les véhicules diesel et de mettre fin à la culture sur brûlis.
En réduisant de façon sensible nos émissions de méthane et de suie, nous ferions d'une pierre trois coups : en matière de climat, ces mesures permettraient de limiter le réchauffement à 0,8°C d'ici à 2060, au lieu des 1,3°C prévu. En matière de rendement agricole global, ces mesures permettraient une hausse de la production agricole mondiale de plusieurs dizaines de millions de tonnes par an et constitueraient donc un puissant levier pour nourrir correctement les neuf milliards d'humains qui vivront sur terre au milieu de ce siècle. Enfin, en matière sanitaire, cette réduction de nos émissions de carbone et de suies aurait un impact non moins considérable et permettrait d'éviter jusqu'à 4 millions et demi de morts prématurées par an, notamment en Asie.
Il faut toutefois bien comprendre qu'une telle stratégie ne nous dispenserait absolument pas de réduire massivement nos émissions de CO2 (actuellement 31 milliards de tonnes par an, soit 4 tonnes et demi par terrien) si l'on veut à terme éviter un réchauffement catastrophique de 4 à 6°C d'ici la fin du siècle. Selon une autre étude réalisée en 2007 par l'Université de Stanford, le CO2 contribue pour moitié au réchauffement climatique, suivi par les suies (16 %) et enfin par le méthane, pour 14 %.
Cette étude nous révèle également qu'en utilisant uniquement des technologies existantes, il serait possible de réduire les émissions de méthane émis de 40 % et que la mise en œuvre de ces 14 mesures aurait un coût économique tolérable : en effet la plupart de ces mesures ont un coût maximum de 250 dollars la tonne de méthane, ce qui est plus de dix fois inférieur aux immenses bénéfices qui pourraient être obtenus en matière de santé et d'environnement. L'étude prend un exemple concret : les poêles et fours à charbon de bois sont utilisé par trois milliards d'humains pour faire cuire les aliments et sont responsables d'au moins deux millions de décès prématurés par an.
Il est frappant de constater que cette vaste étude rejoint les conclusions d'un rapport réalisé en 2009 par le cabinet McKinsey. Cette étude concluait également que si l’ensemble des options technologiques disponibles étaient utilisées, les émissions mondiales de gaz à effet de serre pourraient être réduites de 40 % par rapport à 1990 d’ici à 2030, ce qui permettrait de limiter la hausse de la température mondiale à moins de 2°C. Selon cette étude, le coût global de ce plan mondial serait bénéfique avec un baril à plus de 100 dollars, ce qui est aujourd'hui le cas. Cette étude pointait trois grands leviers pour s'attaquer efficacement au réchauffement de climat : premier levier (un tiers de l'effort à produire), la sobriété et l'efficacité énergétique, second levier (28 % de l'effort global), un investissement massif dans les énergies renouvelables (éolien, biomasse, géothermique, solaire, mer) et les biocarburants de 2ème et 3ème génération, issus du bois et des algues et enfin, troisième levier, une réorientation de la gestion de la forêt, de l'élevage et de l’agriculture ( 28 % de l'effort total).
En moins de deux siècles, l'espèce humaine a conquis un pouvoir déterminant sur le climat mondial, ce qui constitue une rupture majeure de civilisation. Comme le souligne Richard Alley, de l'Université de Pennsylvanie "En décuplant nos émissions de CO2 depuis moins d'un siècle, nous sommes en train de modifier pour les siècles à venir, et à un rythme jamais vu, le climat de la planète".
Il est intéressant de constater que, face à la réalité et à la rapidité du réchauffement climatique mondial, de plus en plus difficile à nier ou à contester, les climato-sceptiques ont été contraints de changer de stratégie. La plupart d'entre eux ne contestent plus la réalité de ce réchauffement mais ils déplacent le débat sur la responsabilité de l'homme dans ce phénomène. Selon eux, ce réchauffement serait "naturel" et l'homme n'y serait pour rien ou aurait une responsabilité marginale dans son accélération. Partant de cette thèse, il serait donc inutile, voire dangereux pour nos économies et nos modes de vie, de prendre des mesures de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et il suffirait finalement d'attendre que le climat s'autorégule.
Mais, comme nous venons de le voir en évoquant quelques unes des dernières études sur ce sujet, cette négation de la responsabilité humaine en matière de réchauffement climatique est une position qui devient, elle aussi, de moins en moins tenable scientifiquement face à l'accumulation des faits et aux progrès de la connaissance du fonctionnement globale de notre planète. Il est peut-être temps d'admettre enfin que nous sommes en train d'entrer, comme le pense Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, et un nombre croissant de scientifiques, dans l'ère de l'anthropocène, une nouvelle ère géologique qui pourrait être prochainement reconnue par la communauté scientifique internationale et qui se caractérise par l'influence majeure que détient à présent l'espèce humaine sur sa planète, par rapport aux forces et phénomènes naturels et géologiques.
Cette nouvelle puissance, sans précédent dans la longue histoire de l'homme, nous confère évidemment une responsabilité immense et un devoir d'agir pour éviter que le pire n’advienne. Nous savons maintenant que le coût de l'inaction sera infiniment plus grand et désastreux pour l'homme et l'ensemble du vivant que celui d'une action résolue et durable pour maîtriser l'évolution du climat. Contrairement à ce que veulent nous faire croire les climato-sceptiques, il n'y a pas de fatalité, l'avenir n'est jamais écrit et même si l'homme est confronté à des forces naturelles et cosmiques qui le dépassent, il n'est pas pour autant condamné à l'inaction et à l'impuissance. Nous ne ferons pas disparaître ce défi climatique en nous mettant la tête dans le sable mais en le comprenant et en l'affrontant avec toute notre intelligence, notre imagination et notre pugnacité, en nous inspirant de ce qu'écrivait Sénèque il y 2000 ans : "Ce n'est pas parce que c'est difficile que nous n'osons pas mais parce que nous n'osons pas que c'est difficile".
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
Noter cet article :
Vous serez certainement intéressé par ces articles :
Des lasers pour traquer les gaz polluants dans l’atmosphère
La pollution de l’air tue 7 millions de personnes par an selon l’Organisation mondiale de la santé et constitue l’un des principaux défis de notre siècle. Des outils spectroscopiques avancés pour la ...
Décarboner l’UE nécessiterait 2,2 % des terres, selon une étude
L'Union européenne dispose-t-elle d'assez de terres disponibles pour décarboner son territoire avec des panneaux solaires et des éoliennes ? Une nouvelle étude du Bureau européen de l’environnement ...
Les émissions de protoxyde d'azote mettent en péril les objectifs climatiques
Des chercheurs australiens ont montré que les émissions mondiales de protoxyde d'azote, un puissant gaz à effet de serre également connu pour son usage comme “gaz hilarant” de par ses effets ...
Recommander cet article :
- Nombre de consultations : 365
- Publié dans : Climat
- Partager :
Jean de taca
3/02/2012Cet article analyse bien la situation où on est et l'attitude des climatos sceptiques.
Il faut avoir la lucidité de l'urgence d'agir contre le rechauffement climatique, l'urgence de mettre le projet facteur4 en priorité des actions de notre pays.
L'association taca (agir contre le rechauffement climatique) essaie de reveiller les élus et les citoyens (on n'a que les élus qu'on mérite) à l'urgence d'agir. (taca.asso.fr sur le web).