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Edito : Allonger la vie avec la biologie de synthèse

C'est juste avant la première guerre mondiale, en 1912, que le médecin et scientifique Stéphane Leduc (1853-1939) publia un essai visionnaire, incompris en son temps, intitulé "La biologie synthétique". Dans son ouvrage, Leduc expliquait que la biologie connaissait trois phases de développement, descriptive, analytique et synthétique. Pour ce chercheur iconoclaste, la reconstruction artificielle du vivant était inséparable de la connaissance des mécanismes fondamentaux de la vie.

Mais il fallut attendre 2008 pour que le célèbre biologiste Craig Venter annonce être parvenu avec son équipe à fabriquer un génome bactérien 100 % synthétique en collant des séquences d'ADN synthétisées bout à bout afin de reconstituer le génome complet de la bactérie Mycoplasma genitalium. Deux ans plus tard, en 2010, l'équipe de Craig Venter franchissait une nouvelle étape décisive en synthétisant le génome de la petite bactérie Mycoplasma mycoides (un million de paires de bases) et en annonçant dans la foulée la création de la première cellule vivante dotée d'un génome synthétique (Voir Science).

Des scientifiques de l’Université de Californie – San Diego viennent de développer une toute nouvelle technique pour ralentir le vieillissement : en travaillant sur la levure, ils ont construit une « horloge » génétique biosynthétique capable de prolonger la longévité des cellules et donc la durée de vie. Ces recherches ont pour but d’empêcher les cellules d'atteindre leurs niveaux normaux de détérioration associés au vieillissement. Ces scientifiques américains ont utilisé la biologie synthétique pour parvenir à bloquer de manière originale les mécanismes qui conduisent les cellules à une dégradation inexorable, liée à l'âge. Les cellules, y compris celles des levures, des plantes, des animaux et des humains, contiennent toutes des circuits de régulation des gènes qui régissent de nombreuses fonctions physiologiques, dont le vieillissement. « Ces circuits génétiques peuvent fonctionner comme nos circuits électriques domestiques qui contrôlent les appareils électroménagers par exemple », explique le professeur Nan Hao du département de biologie moléculaire de l'UC San Diego.

Ces travaux ont montré que, sous l'effet d'un circuit central de régulation des gènes, les cellules ne vieillissent pas de la même manière et qu'il est possible de concevoir un processus de vieillissement "suspendu", qui prolonge la longévité cellulaire en modifiant les mécanismes de vieillissement. Ce processus repose sur une reconfiguration génétique du circuit qui contrôle le vieillissement cellulaire, ce qui permet la formation d'une boucle de rétroaction négative qui bloque ce processus. Le circuit reconfiguré fonctionne comme une horloge, appelée « oscillateur de gène », qui maintient la cellule entre deux états âgés nuisibles, ce qui freine considérablement sa dégénérescence. Comme le souligne l'étude, « C'est la première fois que la biologie synthétique guidée par ordinateur et les principes d'ingénierie permettent de reconcevoir des circuits génétiques synthétiques, de reprogrammer le processus de vieillissement et de promouvoir efficacement la longévité ».

Ces travaux ont permis de découvrir qu'environ la moitié des cellules vieillissent par un déclin progressif de la stabilité de l'ADN, où l'information génétique est stockée. L'autre moitié vieillit en raison du déclin des mitochondries, les unités de production d'énergie des cellules. Le recours à ces circuits génétiques synthétiques sur des cellules de levure Saccharomyces cerevisiae a permis d'augmenter de 82 % la durée de vie par rapport aux cellules témoins ayant vieilli selon des voies normales.

La biologie de synthèse ne cesse d'élargir ses moyens pour programmer et éditer le code génétique de systèmes vivants de plus en plus complexes. Parmi les récentes ruptures technologiques dans ce domaine d'avenir, il faut citer la fabrication d'ADN synthétique, un procédé sur lequel une start-up française fondée en 2014, DNA Script, est devenue leader mondial ! Cette société a conçu et fabriqué en 2020 la première imprimante ADN qui, grâce à sa technologie EDS, 500 fois plus précise que les méthodes traditionnelles de production d'ADN à base de réactifs chimiques, met la fabrication de n’importe quelle séquence de code génétique à la portée des laboratoires du monde entier. Les imprimantes de DNA Script permettent en outre aux laboratoires de produire en deux heures, au lieu de deux jours, à la demande et sur place, l’ADN de synthèse dont ils ont besoin... Les imprimantes à ADN et ARN de DNA Scripts promettent de révolutionner la biologie et la médecine, mais aussi l’environnement, l’agriculture et l’industrie de demain…

En janvier dernier, une équipe d’étudiants en biotechnologie et génie bio chimique de l’INSA Toulouse et de l’Université Paul Sabatier a décroché la médaille d'or à l'occasion du concours international de biologie synthétique (IGEM) qui regroupe 350 équipes d’étudiants du monde entier. Ces chercheurs ont été récompensés pour leur projet de recherche innovant de détection des allergies à partir d’une simple prise de sang qui permettrait de cribler un grand nombre d’allergènes. Pour parvenir à détecter la présence d’anticorps spécifiques aux allergènes recherchés dans le sang, ces scientifiques ont utilisé des bactéries et travaillé avec des anticorps synthétiques.

En avril dernier, le chimiste belge Solvay a fait part de sa collaboration stratégique avec la société de biotechnologies américaine Ginkgo Bioworks, qui met actuellement en place une plate-forme de programmation cellulaire et de biosécurité. Par cette coopération scientifique, Solvay et Ginkgo veulent mieux exploiter toute la puissance de la biologie synthétique, notamment dans le domaine de la catalyse de produits chimiques et de matériaux durables et biocompatibles. Ce partenariat vise en premier lieu l'élaboration de nouveaux biopolymères à destination des produits d'hygiène, de l’agriculture et l’alimentation. Mais il s’agit également pour Solvay de se renforcer dans le domaine de la biotechnologie, mais aussi dans trois autres domaines stratégiques : les matériaux pour batteries, l’hydrogène vert et les composites thermoplastiques.

C'est dans ce contexte d'effervescence scientifique qu'il y a quelques jours, deux équipes scientifiques rivales ont annoncé simultanément qu'elles avaient réussi à produire en laboratoire les "embryoïdes" humains. Ces embryoïdes sont des assemblages de cellules qui visent à reproduire le fonctionnement et le développement d'un embryon, mais sans être issues d'une fécondation. Certes, ces structures restent, pour l'instant, incapables de se développer en un fœtus viable et sont fabriquées à partir de cellules réelles. Toutefois, ces travaux présentent un intérêt considérable pour mieux comprendre le tout premier stade d'un embryon, une période de quelques jours dont les mécanismes restent mal compris. Dans cette compétition mondiale à l'embryoïde, deux équipes de recherche se distinguent particulièrement, celle de la chercheuse Magdalena Zernicka-Goetz, au Royaume-Uni, et celle de son collègue Jacob Hanna, en Israël. Il y a quelques semaines, l'équipe de Zernicka-Goetz a fait sensation en annonçant lors d'une conférence à Boston avoir développé ces structures en laboratoire.

Ces structures cellulaires n’ont ni cœur, ni cerveau, mais comprennent des cellules qui formeront le placenta, le sac vitellin et l’embryon lui-même. Elles représentent les toutes premières étapes du développement humain, et pourraient permettre des avancées majeures dans la compréhension de pathologies comme les fausses couches et les maladies génétiques. Ces résultats pourraient permettre des progrès décisifs en médecine régénérative, car s'il s'avère possible de créer des embryons synthétiques fonctionnels, cela ouvrira la voie vers la production de tissus et organes humains destinés à la transplantation, ce qui pourrait potentiellement sauver de nombreuses vies et améliorer la qualité de vie de millions de personnes dans le monde. Reste qu'on ignore pour l'instant si ces structures synthétiques obtenues à partir de cellules souches seront un jour capables de se transformer en véritables créatures vivantes.

Actuellement, l'étude des embryons naturels n'est autorisée en laboratoire que jusqu'à une limite légale de 14 jours au Royaume-Uni, et 7 jours en France. La recherche ne peut reprendre ensuite que par le biais d'échographies, beaucoup plus tard pendant la grossesse. Ces organismes synthétiques pourraient donc permettre de mieux comprendre l'apparition, encore mal comprise,  des nombreuses maladies génétiques humaines. Mais ce bond en avant scientifique pose de graves questions éthiques et juridiques, car ces structures synthétiques n'ont pas de statut juridique clair et leur utilisation est inconcevable sans un cadre législatif et éthique précis au niveau européen et national...

Rappelons qu'il y a quelques semaines, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et de l’École Polytechnique, en collaboration avec le Centre Helmholtz et l’Université de Copenhague, ont fabriqué, in vitro, « des amas cellulaires de souris mimant sous certains aspects l’organisation de vrais embryons ». Ils ont également annoncé avoir développé une nouvelle technique qui permet de générer des embryons synthétiques de souris de manière efficace et facilement reproductible. Le but de ces recherches est cette fois de mieux comprendre les mécanismes qui gouvernent l’identité de nos cellules et leurs dérèglements, notamment lors du déclenchement des cancers (Voir Institut Pasteur).

En combinant deux outils d'IA, PandaOmics et Chemistry42, Nvidia et Insilico Medicine ont mis au point une molécule contre la fibrose pulmonaire baptisée INS018_055 s, Ce médicament est le premier conçu par intelligence artificielle qui va prochainement faire l'objet d'essais cliniques sur l'homme et, les tests sont concluants, INS018_055 pourrait permettre de soigner la fibrose pulmonaire idiopathique, une maladie qui provoque une dégénérescence des tissus du poumon, et conduit au décès du patient. Insilico Medecine se dit persuadée que la puissance de ces nouveaux outils d'IA va permettre un formidable bond en avant de la biologie synthétique et va déboucher d'ici quelques années sur la production industrielle contrôlée et à la demande d'une multitude de molécules d’intérêt biologique, ADN, ARN, protéines, enzymes, anticorps...

Au-delà de la biologie et de la médecine, la biologie de synthèse est également en train de révolutionner le secteur des technologies vertes et de l'énergie. Carbios, société française pionnière dans le domaine des nouvelles solutions enzymatiques pour réinventer le cycle de vie des polymères plastiques et textiles, a ainsi réussi à produire récemment les premières bouteilles contenant 100 % de matières recyclées en Acide téréphtalique purifié (rPTA) provenant de déchets textiles à haute teneur en PET. Ce résultat confirme également la capacité de la technologie de Carbios à recycler les déchets textiles. Actuellement, les technologies de recyclage mécanique ne permettent pas de recycler efficacement les déchets de vêtements. En revanche, la rupture technologique développée par Carbios permet aux fibres textiles de polyester d’être réutilisées et retransformées en PET de haute qualité adaptée à la production de bouteilles transparentes, ouvrant la voie au recyclage à l’infini des plastiques et textiles à base de PET.

Bien qu'elle n'ait qu'une quinzaine d'années, la biologie de synthèse est déjà en train de bouleverser la biologie et la médecine et s'impose, on le voit également dans le domaine de l'industrie, de l'énergie, de l'environnement des nouveaux matériaux et du recyclage des déchets. En synergie avec les outils d'IA incroyablement puissants qui s'appuient désormais sur des superordinateurs de classe exaflopique (un milliard de milliards d'instructions disponibles), la biologie de synthèse va élargir l'horizon et les potentialités des sciences de la vie à un point que nous ne pouvons pas encore imaginer. Face à cette vertigineuse rupture scientifique et technique, notre société doit ouvrir dès à présent un grand débat politique et éthique pour définir sereinement un cadre solide et protecteur qui permettra de garantir que tous ces nouveaux outils de la biologie synthétique seront bien utilisés à des fins thérapeutiques, pour améliorer le sort des plus fragiles de nos concitoyens, sans jamais porter atteinte à la dignité humaine, ni conduire à des dérives de marchandisation du corps humain.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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