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Un aiguillon viral à l'échelle atomique
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Il s’agit sans doute de l’arme perforante la plus fine du monde biologique. Avec leur aiguillon d’un nanomètre, des virus s’attaquent aux bactéries. Cet appendice a été mesuré par des chercheurs de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL).
Il répond au doux nom de ?92. Ce virus de la famille des phages est spécialisé dans l’attaque des bactéries de type salmonelle ou colibacille. Au centre de son dispositif d’agression, une pointe destinée à percer la membrane de sa victime. Des chercheurs de l’EPFL sont parvenus à mesurer cette arme extrêmement fine – un nanomètre à son extrémité, soit à peine 20 fois le diamètre d’un atome d’hélium. Cette découverte, publiée dans la revue Structure de Cell Press, permet de mieux comprendre la stratégie d’attaque des phages, dont le potentiel thérapeutique fait aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches.
L’arme perforante du phage ?92 est constituée de trois chaînes de protéines identiques. Ces trois longues molécules tressées forment un appendice pointu, à même de percer la membrane de la bactérie. Une caractéristique commune à toutes les espèces proches de ?92. Inconnue jusqu’alors, cette structure a été découverte à l’EPFL, au sein du laboratoire de biophysique et biologie structurelle dirigé par Petr Leiman.
Le corps des phages est constitué de deux parties principales. La première, appelée «capside», renferme le matériel génétique. La seconde se compose d’un tube, d’un groupe d’appendices analogues à des pattes, et d’un dispositif perfectionné pour percer la membrane de l’hôte – la pointe est située à l’extrémité.
Le phage reconnaît les sucres ou les protéines à la surface de ses bactéries préférées. Ses pattes s’accrochent alors à la victime, et une mécanique complexe se déclenche. Un ressort fait de protéines se détend et pousse le tube d’injection armé de la pointe à travers la membrane. Puis la pointe se détache de l’extrémité du tube et, comme lorsqu’on débouche une bouteille de champagne, le matériel génétique sous pression dans la capside est propulsé dans la bactérie. Le phage peut alors se reproduire dans sa victime.
En déterminant exactement la structure de la pointe, les chercheurs sont parvenus à compléter nos connaissances sur l’arme fatale du phage ?92. Pour parvenir à un tel niveau de détail – une dizaine d’atomes tout au plus à l’extrémité de la pointe – ils ont utilisé la technique de la cristallographie aux rayons X, assez précise pour déterminer la forme d’une molécule.
«Nous sommes parvenus à déterminer non seulement la taille, mais la structure complète de cette pointe», raconte Christopher Browning, auteur de l’article. En outre, les chercheurs ont découvert un atome de fer dans l’appendice. «Nous ne savons pas encore à quoi il sert, mais dans la mesure où cet élément est toxique, nous avons de très bonnes raisons de penser qu’il n’est pas là par hasard.»
Ce travail va bien au-delà de la simple curiosité de naturaliste. Les phages sont en effet pressentis comme solution pour la lutte antibactérienne, en complément ou en remplacement des antibiotiques. Les chercheurs pensent que la forme de la pointe détermine en partie les espèces de bactérie auquel un phage peut s’attaquer.
Parmi les pistes explorées, des phages incomplets appelés piocines. Naturellement produits par certaines bactéries infectées, ils se résument au dispositif d’injection du virus, à l’image d’une pièce mécanique, mais d’origine biologique. Ils sont intéressant précisément parce qu’ils sont dénués de capside, donc de matériel génétique, explique Christopher Browning. «Ces entités pourraient percer la membrane de la bactérie, ce qui aurait pour effet de la tuer, mais sans injecter de matériel génétique. On éviterait ainsi que le phage puisse muter et s’attaquer à de «bonnes» bactéries. C’est une option de plus en plus étudiée, mais il faut connaître le potentiel de chaque espèce de phage par rapport à telle ou telle bactérie. La forme de la pointe est l’un des paramètres.»
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