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Edito : Accès à la culture numérique : vers un nouveau partenariat public-privé
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Dans mon éditorial du 23 octobre dernier (Livre électronique : qui va contrôler l'accès au savoir ?) je faisais part de mes réserves quant aux conséquences à terme du quasi monopole de fait de Google en matière de numérisation des oeuvres littéraires et culturelles et je soulignais l'absence, à mon sens dommageable, de véritable stratégie globale, fédérant acteurs publics et privés, face à l'hégémonie écrasante du géant numérique américain qui venait d'annoncer le lancement en 2010 de Google Editions, son service de commercialisation de livres électroniques.
Depuis trois mois, la situation a considérablement évolué, tant au niveau international que national. Google a d'abord été contraint de soumettre le 13 novembre 2009, à la justice américaine, une version remaniée de l'accord conclu l'an dernier pour "Google Books".
Dans son accord initial avec les éditeurs américains, Google avait proposé un versement de 125 millions de dollars pour rémunérer les auteurs dont les oeuvres auraient été numérisées sans autorisation. Il avait aussi proposé d'établir un fonds de rémunération pour les auteurs qui acceptent que leurs livres soient numérisés.
La nouvelle proposition d'accord limite ces dispositions aux livres publiés aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et au Canada. Par ailleurs, pour répondre aux inquiétudes des éditeurs étrangers, les livres épuisés dans les pays précédents, mais toujours disponibles à la vente dans d'autres, ne seront pas accessibles sur Google Books. Enfin, Google propose la création d'un fonds indépendant destiné à rechercher et identifier les ayants droit des oeuvres orphelines. L'argent collecté sera reversé au bout de dix ans à des associations caritatives, au lieu d'être partagé au bout de cinq ans comme cela avait été d'abord convenu, entre Google et les éditeurs.
En réponse aux accusations de monopole sur la distribution de livres au format numérique, Google a également accepté le partage des bénéfices favorable aux éditeurs et auteurs. Ils percevront donc 63 % des revenus provenant de l'exploitation de leurs ouvrages, le solde de 37 % revenant à Google.
Ces propositions ont été bien accueillies par la Fédération des éditeurs européens (FEE) qui considère qu'elles ouvrent la voie vers un accord global de partenariat équilibré.
En France, les acteurs publics et privés, après une longue période d'attentisme et de léthargie, semblent également se réveiller. Le rapport Tessier sur "la numérisation du patrimoine écrit", remis le 12 janvier au ministre de la culture, dresse un état des lieux des bibliothèques numériques. Avec des moteurs de recherche et des référencements inégaux : d'un côté, Google a scanné 10 millions de livres, de l'autre, Gallica donne accès à 900 000 documents dont 145 000 livres. Quant à la bibliothèque numérique Europeana, elle n'est aujourd'hui qu'un "portail de consultation". Du côté des éditeurs français, enfin, on ne dispose que de 40 000 titres numérisés.
Dans ces conditions, comment financer dans un délai raisonnable, même avec les 750 millions d'euros du grand emprunt, les dizaines de millions de livres et oeuvres d'art qui constitue notre patrimoine culturel national. Le rapport liste les accords de numérisation signés par Google avec sept bibliothèques européennes, dont celle de Lyon, et estime qu'ils sont inadaptés par rapport aux missions des bibliothèques, tant du point de vue de la conservation du patrimoine que de l'accessibilité par le grand public. Le rapport juge notamment excessif "la durée des clauses d'exclusivité" qui lient les bibliothèques avec Google.
Le rapport propose trois pistes d'action. Première piste : s'appuyer sur Gallica, l'outil de la BNF, qui dispose d'"un savoir-faire reconnu en matière de numérisation de masse" mais l'améliorer "en réformant profondément son pilotage et ses fonctionnalités". Le rapport propose ensuite de relancer une dynamique européenne, en lien avec les autres bibliothèques et un renforcement d'Europeana.
Mais, au-delà de ces déclarations de bonnes intentions, c'est évidemment la troisième proposition qui est particulièrement intéressante et innovante : le rapport se prononce en effet en faveur de partenariats public-privé "donnant-donnant" et propose d'ouvrir des négociations avec Google, l'acteur dominant du marché. Il propose concrètement, "une autre forme de partenariat, fondé sur l'échange équilibré de fichiers numérisés, sans clause d'exclusivité". Un accord "pourrait viser, non pas à faire prendre en charge l'effort de numérisation mais à le partager, en échangeant des fichiers de qualité équivalente et de formats compatibles".
Concrètement, chaque partenaire resterait libre de disposer des fichiers obtenus par l'échange. Ainsi, les livres français seraient référencés dans Google Livres, mais la plate-forme nationale serait enrichie par les ouvrages numérisés par Google.
Enfin, pour aider les éditeurs à s'adapter au numérique, le rapport préconise aussi la création d'"une entité coopérative réunissant les bibliothèques publiques patrimoniales et les éditeurs". Elle permettrait la mise en place d'une plate-forme commune où les internautes auraient accès à l'ensemble des livres numérisés.
Pour bénéficier des aides de l'Etat à la numérisation, chaque éditeur devra y déposer ses fichiers, autoriser leur indexation et leur consultation par le public, mais les éditeurs pourront garder la maîtrise des conditions d'exploitation commerciale des fichiers. Cette proposition a été reprise par plusieurs distributeurs français de produits culturels qui ont appelé le 13 janvier les éditeurs et le gouvernement à favoriser la création d'une nouvelle plate-forme de téléchargement de livres électroniques pour contrer les initiatives des américains Amazon, Google et Apple dans ce domaine. Les dirigeants de PPR, la maison mère de la Fnac et de Virgin Megastore, estiment que la France devrait se doter d'une structure nationale commune de téléchargement de livres électroniques, qui serait dirigée par des éditeurs et des distributeurs.
On voit donc qu'en quelques mois, la mobilisation concertée des acteurs publics et privés et l'établissement d'un dialogue constructif avec Google, acteur incontournable de l'économie virtuelle planétaire, ont permis de jeter les bases d'un cadre de partenariat nouveau et équitable en matière de numérisation, d'exploitation et de diffusion du patrimoine culturel mondial. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution qui survient au moment où le téléviseur devient une puissante passerelle d'accès aux contenus numériques sur le Web et montre que la garantie d'un accès libre et généralisé au patrimoine culturel universel passe par de nouvelles formes de coopération et d'action entre états et acteurs économiques.
René Trégouët
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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