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Edito : Vers une nouvelle approche conceptuelle de la maladie d’Alzheimer
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Cette semaine, l’actualité scientifique récente nous conduit à revenir une nouvelle fois sur un sujet grave, la maladie d’Alzheimer. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), il y aurait au moins 35,6 millions de personnes dans le monde atteintes par cette pathologie neurodégénérative qui représenterait 60 à 70 % du total des démences répertoriées. Et sous l’effet du vieillissement massif de la population mondiale, ce nombre de malades d’Alzheimer pourrait atteindre 66 millions en 2030.
En France, la maladie d’Alzheimer touche environ 900 000 personnes et constitue à présent la 4e cause de mortalité. 225 000 nouveaux malades sont diagnostiqués chaque année, avec une survie moyenne de 8 ans et demi après l'annonce du diagnostic.
Il faut toutefois rappeler qu’une une étude (que nous avons déjà évoquée dans notre lettre) publiée début 2016 et réalisée par les chercheurs de l'Ecole de santé publique de Bordeaux et ceux de l'Université de Boston, suggère que le taux réel (c’est-à-dire ramené au vieillissement et à l’augmentation de la population) d'apparition de nouveaux cas de démence serait en diminution. En examinant quatre périodes distinctes situées entre 1970 et 2009, les chercheurs ont découvert un déclin progressif de l'incidence de la démence à tout âge, avec une réduction moyenne de 20 % tous les dix ans, sans doute grâce à une meilleure prise en charge de pathologies associées, comme le diabète, l’hypertension ou l’hypercholestérolémie. Mais la prévalence de cette terrible maladie, qui intègre à la fois les nouveaux cas et les malades plus anciens, va tout de même continuer à augmenter compte tenu du vieillissement inexorable de notre population.
Depuis quelques semaines, plusieurs découvertes et avancées importantes sont venues éclairer d’une lumière nouvelle cette redoutable maladie et relancer l’espoir de nouvelles pistes thérapeutiques. Tout d’abord, des chercheurs de l'Université d'Aberdeen, dirigés par Bettina Platt, ont montré que les complications cérébrales liées à la démence peuvent également entraîner des perturbations dans la gestion du glucose par l’organisme et provoquer, in fine, un diabète. Il est donc possible que le diabète puisse commencer par ce dysfonctionnement cérébral plutôt que par un dysfonctionnement du pancréas. (Voir Springer).
En développant un modèle animal de la maladie d'Alzheimer, ces chercheurs ont découvert que des niveaux accrus d'un gène impliqué dans la production de protéines toxiques dans le cerveau (type amyloïde), non seulement entraîne des symptômes semblables à ceux rencontrés dans la maladie d'Alzheimer, mais aussi dans les troubles métaboliques. Il semble notamment que le gène BACE 1, dont on sait à présent qu’il joue un rôle majeur dans la régulation du glucose, joue un rôle clé dans l’apparition de la maladie d'Alzheimer en favorisant la multiplication de la protéine précurseur de l'amyloïde. « Il est indéniable et troublant que 80 % des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer présentent également une forme de diabète ou des perturbations du métabolisme du glucose », rappelle Bettina Platt.
Si cette hypothèse scientifique se confirme, cela voudrait dire que les facteurs liés au mode de vie, notamment les facteurs alimentaires responsables du diabète, pourraient jouer un rôle important dans l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Ces recherches montrent, en tout cas chez l’animal, que les médicaments actuellement utilisés pour contrôler les niveaux de glucose dans le diabète peuvent aussi soulager les symptômes et la progression de la maladie d'Alzheimer. Commentant ces travaux, le professeur Platt précise que « la bonne nouvelle est qu'un certain nombre de nouveaux médicaments sont désormais disponibles et nous allons les expérimenter sur l’animal, puis chez l’homme, pour voir s’ils peuvent à la fois améliorer les symptômes d'Alzheimer et ceux du diabète. »
Une autre voie de recherche semble pleine de promesses : il s’agit d’un nouveau vaccin anti-tau développé et actuellement expérimenté sur l’homme par la société de biotechnologie Axon Neuroscience (basée à Bratislava, en Slovaquie), dans le cadre de l’étude ADAMANT de phase II (Voir LABIOTECH).
Le vaccin AADvac1 d’AXON est prévu pour être le premier vaccin anti-tau modificateur de la maladie d’Alzheimer. Ce vaccin dit « thérapeutique » est conçu pour produire les anticorps contre la protéine tau pathologique, qui est la cause principale de la pathologie neurofibrillaire dans la maladie d’Alzheimer. Ces anticorps devraient empêcher la protéine tau d’avoir des interactions pathologiques, pour faciliter la suppression de la pathologie tau et ainsi ralentir ou stopper la progression de la maladie d’Alzheimer.
Ces essais cliniques sur l’homme s’inscrivent dans le cadre d’ADAMANT, une vaste étude prévue pour durer deux ans et destinée à mesurer l’efficacité thérapeutique de cette approche sur des malades souffrant d’un Alzheimer d’intensité légère. L’étude ADAMANT sera menée dans plusieurs pays d’Europe, où 185 patients devraient être recrutés pour y participer.
Autre piste qui semble confirmer ses promesses : celle des effets positifs du resvératrol -un antioxydant présent dans les raisins, le vin ou le chocolat- sur l'hippocampe, une zone du cerveau essentielle pour la mémoire, l'apprentissage et l'humeur.
Le resvératrol est une substance phytochimique polyphénolique produite naturellement dans plusieurs plantes. On le trouve en forte concentration dans la peau des raisins (vin), les baies, le chocolat et les arachides. De nombreux bénéfices lui ont été accordés, dont ses effets anti-inflammatoires et ses capacités préventives contre le diabète, les maladies cardiovasculaires, certains cancers et même la maladie d’Alzheimer. Une récente étude réalisée pendant un an sur 119 participants et conduite par le Professeur R. Scott Turner, du Georgetown University Medical Center, a permis de confirmer l'activité métabolique du resvératrol (à des doses croissantes allant jusqu’à deux grammes par jour) dans les cellules traitées.
Ces recherches montrent que le resvératrol facilite la dispersion de la protéine précurseur de l'amyloïde (APP) et favorise l'élimination des protéines neurotoxiques bêta-amyloïde (Aß), et parvient ainsi à ralentir le développement et la progression de la maladie d’Alzheimer. Enfin, le resvératrol réduit également les dommages aux cellules neuronales, grâce à l’action de protéines bénéfiques, les sirutines. Or, de manière très intéressante, on sait que ces mêmes protéines sont également activées par la restriction calorique et il a également été établi, par des études sur l’animal, que la maladie d’Alzheimer, comme de nombreuses pathologies liées à l’âge, peut être évitée ou retardée par la restriction calorique à long terme.
Mais pour mieux combattre la Maladie d’Alzheimer grâce à ces nouveaux traitements, encore faut-il parvenir à détecter le plus précocement possible cette pathologie dévastatrice : c’est justement cette perspective que promet l’équipe de recherche de Robert Naguele, de l’université américaine de Rowan (New Jersey), (Voir Rowan University).
Ces chercheurs ont d’abord identifié 50 marqueurs biologiques qui seraient présents dès le début de la maladie et qu’il faut donc rechercher. Les chercheurs ont ensuite soumis 236 patients à ce dépistage, dont 50 atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade très précoce (comme démontré par leurs faibles taux de protéine bêta-amyloïde 42 dans le liquide céphalorachidien). Le test de dépistage a permis d’identifier l’ensemble de ces 50 patients. L’équipe prévoit désormais de reproduire cette évaluation du test à plus grande échelle. A terme, ce test pourrait permettre de détecter de manière très fiable (98 % de précision) la maladie bien avant l’apparition des premiers symptômes. « Il est aujourd’hui admis que les modifications liées à la maladie d’Alzheimer débutent dans le cerveau au moins 10 ans avant les premiers symptômes », souligne le chercheur, qui ajoute « Pour les patients positifs à ce test, nous pourrions immédiatement proposer des stratégies thérapeutiques personnalisées qui seraient alors bien plus efficaces et retarderaient considérablement ou même préviendraient le déclenchement de cette maladie invalidante ».
Face à la complexité déroutante de cette maladie, les chercheurs ne se contentent pas d’explorer de nouvelles pistes thérapeutiques, ils proposent également de nouvelles approches théoriques de plus en plus solides. C’est ainsi que Rudy Tanzi et Robert Moir, deux chercheurs de la prestigieuse école de médecine de Harvard (Etats-Unis), font l’hypothèse que les plaques de protéines bêta-amyloïdes présentes dans le cerveau des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et que l'on considérait comme responsables de la maladie, auraient en fait un rôle positif dans la lutte contre la maladie. Selon ces chercheurs, cette pathologie neurodégénérative serait déclenchée par une réponse immunitaire, ce qui expliquerait pourquoi les médicaments qui ciblent cette protéine n’ont pas d’effet sur la progression de la maladie (Voir Science Translational Medicine).
Selon cette théorie iconoclaste, la maladie d'Alzheimer pourrait être déclenchée par une réponse immunitaire « lorsque le cerveau a l'impression d'être l'objet d'attaques d'éléments pathogènes envahisseurs » soulignent les chercheurs. Cette hypothèse conforte également l’importance des facteurs liés au mode de vie - activité physique régulière, sommeil de qualité et alimentation saine - pour prévenir la maladie d'Alzheimer. En effet, selon Rudy Tanzi et Robert Moir, « Il est probable que si notre qualité de vie permet au cerveau de fonctionner correctement, celui-ci sera en mesure de combattre les infections sans réagir de façon excessive et inflammatoire ».
Cette nouvelle théorie très intéressante mérite d’autant plus d’être explorée et approfondie qu’elle vient, il y a quelques jours, d’être prolongée et étayée par une autre étude américaine qui montre qu’une prise en charge pluridisciplinaire précoce et personnalisée de la maladie d’Alzheimer peut conduire, pour certains patients, à une régression des symptômes (Voir Science Daily).
Ces recherches réalisées sous la direction de Dale Bredesen par des chercheurs de l’Institut Buck pour la recherche sur le vieillissement et l’Université de Californie de Los Angeles ont montré, sur dix patients atteints d’une forme débutante d’Alzheimer ou son stade précurseur MCI (Mild Cognitive Impairment), qu’il était possible d’obtenir une amélioration sensible des facultés cognitives, et cela uniquement par une prise en charge intensive variée et personnalisée, portant aussi bien sur l’alimentation, la supplémentation en certaines substances, que sur des exercices...
Ce résultat pour le moins surprenant a été obtenu en appliquant le nouveau protocole baptisé MEND (amélioration métabolique pour la neurodégénescence). Mis au point il y a deux ans par cette équipe et reposant sur une approche thérapeutique résolument multidisciplinaire qui intègre toutes les avancées fondamentales dans la connaissance des facteurs pouvant contribuer à augmenter les risques d’Alzheimer. Sachant par exemple que la réduction de l’'inflammation et de la résistance à l'insuline semble protéger notre cerveau de cette pathologie, ce protocole MEND comporte un volet visant à réduire ces deux facteurs par un régime alimentaire pauvres en glucides simples (glucose, saccharose) et facteurs d’inflammation (graisses animales..) ou en favorisant le jeûne.
D’autres études ayant établi le rôle nocif, pour notre cerveau, d’une production excessive de cortisol, hormone du stress, MEND essaye également de diminuer le niveau de stress, par du yoga et de la méditation. Un autre axe d’action concerne la pratique régulière d’une activité physique adaptée, pour renforcer la résistance du cerveau aux agressions et au déclin cognitif. Au total, ce protocole se compose donc comme un véritable "bouquet thérapeutique" qui comporte une vingtaine d’objectifs complémentaires aux effets potentiellement synergiques.
A l’issue de ce programme personnalisé de deux ans, l’étude constate une "amélioration cognitive subjective marquée" pour tous les patients ! Six d’entre eux ont vu également une amélioration nette aux tests de neuropsychologie. Enfin, des examens IRM ont montré, chez l'un d'entre eux, une récupération du volume de l'hippocampe, structure cérébrale essentielle à la mémorisation, qui se réduit avec la maladie.
Pour l’un des patients, souffrant d’un Alzheimer diagnostiqué en 2003, la récupération cognitive a été impressionnante : après six mois de protocole MEND, il a été à nouveau en mesure de reconnaître les visages au travail, de se rappeler son agenda et de travailler normalement…
Ces recherches montrent également que cette amélioration de l’état cognitif des patients est stoppée si ceux-ci arrêtent le protocole plus de deux semaines mais cette amélioration des facultés cognitives se manifeste à nouveau quand ces patients reprennent le protocole.
Commentant ces résultats, Dale Bredesen reste cependant prudent et souligne que de nombreux points restent à éclaircir, à commencer par l’influence réelle de la mutation sur le gène ApoE, dont étaient porteurs neuf des dix patients soumis à ce protocole et qui est impliquée dans les voies de régulation de l’inflammation et des lipides. Mais cette étude pose beaucoup d’autres questions, comme par exemple de savoir à partir de quel âge, et combien de temps, en l’absence de symptômes déclarés de maladie d’Alzheimer, faut-il appliquer ce protocole pour en retirer le bénéfice optimal ?
Il est remarquable de constater que toutes ces avancées très récentes, qu’elles soient de l’ordre de la recherche fondamentale ou du domaine clinique et thérapeutique, sont en train de provoquer un véritable basculement conceptuel dans la façon dont les médecins et scientifiques abordent et combattent cette pathologie protéiforme dans laquelle interagit une multitude de facteurs biologiques, environnementaux et psychologiques.
On sait en effet à présent que nos choix de vie (alimentation, sport), notre « appétit » intellectuel et la richesse de nos relations sociales et affectives, loin de jouer un rôle subsidiaire, occupent une place essentielle pour prévenir mais aussi pour mieux prendre en charge cette terrible maladie qui dépossède les sujets de leur identité. Le grand défi de ces prochaines années sera, en combinant la puissance des outils biotechnologiques et numériques, de proposer à l’ensemble de nos concitoyens une prévention précoce et personnalisée de cette pathologie, accompagnée d’une stratégie thérapeutique complètement individualisée. Celle-ci intégrera notamment la structure psychologique et l’évolution familiale et affective et pourra ainsi proposer à chacun une réorientation adaptée de son mode de vie qui sera intrinsèquement d’une grande efficacité préventive et thérapeutique.
Nous ne pouvons bien sûr que nous réjouir de ces progrès remarquables dans la compréhension et le traitement de la maladie d’Alzheimer mais il faut aller plus vite et plus loin : c’est pourquoi je souhaite que l’Europe, qui traverse actuellement une crise de confiance sans précédent depuis sa création, il y a près de 60 ans et cherche un nouveau souffle qui puisse susciter à nouveau l’adhésion voire l’enthousiasme des habitants de notre continent, prenne rapidement une initiative forte dans ce domaine ô combien concret et lance un ambitieux programme visant sur une génération à mettre un coup d’arrêt à la progression de cette terrible maladie.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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Jack Teste-Sert
15/07/2016En effet, tous nos choix de vie sont essentiels, prédominant, comme le sont également tous nos ETATS de pensées.
L'effet placebo a largement et abondamment démontré que l'attitude mentale est prédominante en toute façon de se voir et de croire à l'effet de tel médicaments.
Si, tout au long de la vie, et surtout à partir d'un certain âge, nous nous laissons aller à croire à "une certaine décrépitude vulnérable", c'est ce que nous nous retournons car l'esprit à des conséquences directes, littérales et précises (donc sûres à l'inverse, si mieux dirigées) sur tout ce que nous pensons "devoir" vivre !.
C'est ce que je teste dans le bons sens en me disant de mieux en mieux à 71 ans, en le maintenant, et les effets vantés maléfiques du sel et du sucre ne m'atteignent pas (comme nous le vendent au pire les articles médicaux alarmistes) ...
Mes dits CO ? en coopération complète de notre esprit plus que du bon côté ? La recette est là !
La Grande Réalité n'est en aucun cas compartimentée ou parcellisée. Tout y interfère en étroite collaboration sensible et fine, et d'abord sur chacun de nos états d'esprit et croyances !§!
La science matérialiste n'est qu'un aspect de cette réalité globale, universelle à multiples briques reliées entre elles, même si c'est au niveau le plus fin, quantique, invisible, prétendu "immatériel", en fait magnétique et actif également sur chacune de nos atomes.