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Edito : L'agriculture numérique va donner un nouveau souffle au monde rural
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La France reste la première puissance agricole européenne, avec 75,2 milliards d'euros de production en 2015, devant l'Italie (55,2 milliards), l'Allemagne (51,5 milliards), et l'Espagne (45,5 milliards). Si en France, l'industrie agroalimentaire demeure un pilier de l'économie avec plus de 170 milliards d'euros de chiffre d'affaires, son rang dans le commerce alimentaire mondial ne cesse de régresser : deux entreprises sur 10 seulement exportent leurs produits, contre 8 sur 10 en Allemagne. La France a perdu plus de la moitié de ses exploitations en 25 ans, avec 470 000 exploitations en 2016, contre un million en 1990… Quant au nombre d’agriculteurs, il est tombé à moins de 900.000 aujourd'hui, soit à peine 3,5 % de la population active.
Après un recul de 5,5 % de leur revenu net à 13,5 milliards d’euros en 2016, les agriculteurs français sont plus que jamais confrontés à une nouvelle exigence de productivité et de compétitivité et ce défi est d’autant plus difficile à relever qu’il doit s’inscrire dans la perspective d’une agriculture durable et toujours plus respectueuse de l’environnement.
Heureusement, une révolution à la fois culturelle et technologique, celle de l’agriculture numérique, peut permettre à nos agriculteurs de réussir cette mutation historique.
Depuis le début de cette décennie, sans que le grand public s’en rende compte, robots et outils numériques - qu’il s’agisse des systèmes d’autoguidage pour tracteurs, des services de télédétection et d’aide à la décision ou des robots modulables - sont sortis des laboratoires pour se diffuser de plus en plus largement dans nos fermes. Fait révélateur, les systèmes d’autoguidage devraient cette année être utilisés dans plus de la moitié des exploitations et les robots assurant la traite laitière équipent à présent une exploitation laitière sur dix et ont vu leur nombre doubler en 5 ans. En matière d’élevage, les robots d’alimentation automatisée ont récemment fait leur apparition. Contrôlables à distance par smartphone, ils permettent la distribution en continu de rations optimisées pour le bétail et font gagner un temps précieux aux agriculteurs. Il faut également souligner l’arrivée récente des robots désherbeurs, comme celui que vient de présenter l’entreprise toulousaine Naïo Technologies.
Baptisée Dino, cette machine de 600 kg mesure 2,20 m x 2,10 x 1,30. Elle a été spécialement conçue pour la culture des légumes. Cet automate à propulsion électrique est capable de « travailler » jusqu’à huit heures par jour en pleine autonomie, ce qui lui permet de traiter en moyenne quatre hectares par jour. Particulièrement efficaces pour les cultures maraîchères, ce robot effectue un travail méthodique de désherbage mécanique, grâce à sa panoplie d’outils modulables. Ce désherbage robotisé régulier fait non seulement gagner un temps précieux à l’exploitant mais réduit également sensiblement le recours aux produits chimiques. Naio ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et devrait bientôt présenter un robot capable de désherber mécaniquement les vignes.
Autre exemple de cette révolution robotique en cours dans l’agriculture : le robot EffiBOT, conçu par l’entreprise clermontoise Effidence pour assister les horticulteurs, viticulteurs et maraîchers. Cette machine, installable sur tout type de véhicule et équipée d’un système de navigation autonome, suit son utilisateur pour le chargement d’une récolte (jusqu’à 300 kg) et, une fois plein, il se déleste de son chargement et revient travailler.
CNH industrial propose pour sa part un nouveau tracteur autonome bardé de différents types de capteurs, de caméras vidéos et infrarouge et muni d’un radar. Son GPS ultra-précis lui permet d’évoluer avec une précision de moins de deux centimètres. D’ici 2020, CNH industrial proposera un système de pilotage à distance qui intégrera la communication entre engins et permettra la formation et la gestion de véritables convois de machines autonomes, capables de travailler la nuit et par tout temps.
À Montpellier, une équipe de recherche en robotique agricole, dirigée par Thomas Schiex, travaille pour sa part sur un robot-vendangeur très sophistiqué qui sera capable de distinguer les différentes qualités de raisin et de les trier lors du ramassage. A Toulouse, un robot pépiniériste unique en Europe est en cours d’expérimentation dans le cadre du projet Sunrise. Cette machine, qui fait le travail d’une bonne dizaine de techniciens, parcourt inlassablement, trois fois par jour, les rangées de plantes et relève, pour chaque tournesol, la quantité d’eau consommée, la hauteur, le diamètre de la tige et la surface foliaire.
Si l'agriculture de précision se développe grâce à de nouvelles générations de robots beaucoup plus autonomes et polyvalents, elle bénéficie également de la montée en puissance des drones agricoles. Airinov, qui revendique aujourd’hui plus de 10.000 utilisateurs et 150.000 hectares couverts en France, a présenté récemment un nouveau drone de surveillance de parcelles agricoles eBee SQ. Très performant, ce drone est équipé du pilotage automatique et peut voler en pleine autonomie pendant 45 minutes. Il permet à l’exploitant de cartographier lui-même plusieurs centaines d’hectares en un seul vol et peut, par exemple, calculer le poids du colza ou le taux de chlorophylle du blé grâce aux longueurs d'onde émises par la plante. Il est alors possible d’évaluer de manière très précise les besoins en azote de chaque parcelle. Avec cette nouvelle génération de drones, plus fiables, plus « intelligents et surtout trois fois moins chers qu’il y a 5 ans, chaque euro investi par l’agriculteur va générer jusqu’à 7 euros de bénéfices supplémentaires, en termes de rendements et de gains de productions…
En fonction du type et de la taille de l’exploitation, l’agriculteur peut, dorénavant, recourir à la demande aux services de sociétés de conseils et d’expertise qui vont recouper images et données provenant de multiples sources (avions, drones, satellites, capteurs terrestres) et proposer à l’exploitant un état des lieux complet de ses productions et un scénario prospectif de ses récoltes à venir et de ses revenus potentiels.
L’extraordinaire succès de FARMSTAR, service créé en 2002, illustre parfaitement l’ampleur et la rapidité de cette mutation agricole et agraire en cours. Ce système d’analyse et de pilotage des cultures associe l’IA en agronomique et des images satellitaires HD pour fournir aux agriculteurs des informations en temps réel sur le niveau et le potentiel de croissance des plantes au niveau de chaque parcelle. En 15 ans, ce service, qui s’étend à présent aux principales cultures céréalières, n’a cessé de se perfectionner. Il devrait dépasser cette année le cap des 20 000 exploitations utilisatrices et couvre aujourd’hui 800 000 d’hectares.
Ces systèmes de modélisation et d’aides à la décision, qui intègrent bien sûr les prévisions météorologiques les plus pointues, vont également permettre à l’agriculteur de réorienter ses actions vers la prévention et d’anticiper la prise en charge des différents problèmes qui peuvent venir menacer la productivité de ses récoltes : intempéries, sécheresse, humidité excessive, présence de parasites ou de nuisibles etc.…
Cette gestion et cette prévision numérique intégrée vont par ailleurs aider l’agriculteur à maîtriser et à réduire sensiblement ses charges et coûts d’exploitation en optimisant en permanence le ratio énergie-produits-production agricole et valeur ajoutée finale. Mais cette agriculture numérique provoque également une révolution en aval de la production, au niveau de la commercialisation des productions. L’agriculteur peut en effet recourir à présent à de puissants outils de conseils, s’appuyant sur les big data et l’intelligence artificielle, qui vont éclairer ses choix et ses décisions en matière de vente de ses productions sur les marchés mondiaux et vont lui permettre de vendre au meilleur prix et de mieux prévoir et sécuriser ses revenus.
Il faut également évoquer une autre évolution pleine de promesses : celle qui s’appuie sur la synergie entre l’agriculture numérique et l’agriculture biologique, en plein essor. Les ventes de produits biologiques sont en forte progression et le marché du bio représentait 7 milliards d’euros en 2016, contre 5,5 milliards d’euros l’année précédente. Il est vrai que, depuis 10 ans, l’alimentation biologique a cessé d’être une mode de « bobos » pour séduire une majorité de Français : 7 sur 10 en consomment régulièrement… Conséquence de cette évolution : 6 % des surfaces agricoles sont à présent utilisées pour les cultures biologiques et le nombre de producteurs « bio » a dépassé les 32 000 l’an dernier et augmente de 12 % par an.
Mais, paradoxalement, en dépit du plan « Ecophyto » qui prévoit une réduction de moitié de l’usage de ces substances d’ici 2025, l’emploi des produits phytosanitaires (pesticides, désherbants) a continué à progresser de 20 % depuis 10 ans et la France ne parvient pas à diminuer, ni même à stabiliser sa consommation globale de pesticides. Pourtant, une étude de l’INRA publiée il y a quelques semaines dans la revue Nature Plants, et s’appuyant sur l’analyse inédite des données recueillies depuis 3 ans dans un millier d’exploitations, montre qu’il serait possible de réduire au moins de 30 % le recours aux pesticides sans altérer les rendements agricoles et les revenus des agriculteurs. Mais ces recherches précisent toutefois qu’une telle diminution ne sera atteinte qu’en diversifiant dans le temps et l’espace les productions agricoles, ce qui rendra plus complexe le métier d’agriculteur. Or, c’est précisément sur ce point que l’apport de l’agriculture de précision, avec ses outils numériques de prévision, d’exploitation et de distribution, peut changer la donne.
L’agriculture numérique et robotisée, dont le marché mondial pourrait passer de 4 à 40 milliards de dollars entre 2017 et 2030, est donc un puissant catalyseur qui peut permettre, tout en maîtrisant les coûts de production, le développement de l’agriculture durable et raisonnée et accélérer, pour les exploitants qui le souhaitent, l’essor des productions entièrement biologiques dont la demande ne cesse de s’étendre et de se diversifier et qui rencontre un succès croissant auprès des consommateurs.
A plus long terme, cette mutation numérique de notre agriculture et de notre élevage va également rendre obsolète cette vieille opposition entre une agriculture « productiviste » et industrielle et une agriculture biologique ou agroécologique qui serait condamnée, par nature, à rester cantonnée dans des modes artisanaux et traditionnels de production et de gestion.
Pour nourrir correctement, et avec des produits de qualité, les neuf milliards d’hommes et de femmes qui peupleront notre planète dans 30 ans, nos agriculteurs n’auront pas à choisir entre ces deux types d’agriculture car ils devront à la fois être capables d’accroître leurs productions pour répondre à la demande mondiale qui augmentera de 50 % d’ici 2050 (le monde va devoir produire un milliard de tonnes de céréales supplémentaires à cette échéance pour nourrir l’Humanité) et d’apprendre à cultiver la terre de manière durable et respectueuse de l’environnement, non seulement en limitant de manière drastique l’utilisation des produits chimiques mais également en modifiant en profondeur leurs types de productions et leurs pratiques agricoles, de manière à prendre toute leur part dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre le changement climatique.
Enfin, je suis persuadé que cette mutation historique en cours va également changer profondément notre conception même du territoire. Cette révolution de l’agriculture numérique et prédictive, en conférant aux agriculteurs de nouvelles missions en matière de sécurité, de surveillance, d’aménagement et de valorisation touristique, va entraîner un mouvement profond et durable de redynamisation et de revitalisation de nos campagnes et de notre monde rural, qui cessera d’être une simple variable d’ajustement de notre économie nationale et participera pleinement à la création de richesse et au développement d’une ruralité active et innovante, redevenue un moteur essentiel de l’équilibre économique, social et culturel de notre Pays.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Agronomie & Botanique
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